Jean-Louis Gouraud, fidèle amoureux du cheval
A l'occasion de la sortie de son dernier livre " Petite géographie amoureuse du cheval ", Jean-Louis Gouraud nous raconte à sa façon inimitable, à la fois sérieuse et joyeuse, sa relation si particulière avec le cheval.
Petite présentation par Christophe Leservoisier, directeur de Cheval d'Aventure
En 2006,
m’ayant transmis les rênes de Cheval d’Aventure, Anne Mariage, pionnière dans
l’organisation de voyages à cheval, m’invite à l’avant première du film Serko*
tiré du roman d’un certain Jean-Louis Gouraud. Ce fût ma première rencontre
avec cet homme affable, à l’œil
gourmand, d’aspect débonnaire et paisible.
Cette apparence masque un esprit alerte et brillant – j’aurais dû me
méfier du regard -, une plume précise, voire acérée, joyeuse, cultivée,
éclectique à l’image de sa vie qui semble guidée par au moins deux fils
d’Ariane : le cheval et l’écriture.
Sa modestie et son humilité, lui font oublier bien des choses lorsqu’il
raconte son parcours. Ainsi en peu de mots, journaliste militant à
« Patrie et Progrès » et aussi à « Combat », création des
éditions Gouraud (1965), journaliste, puis directeur de « Jeune
Afrique » (depuis 1968), créateur de Média International, société de
conseil en communication pour les gouvernements africains/arabes, directeur de
3 collections spécialisées dans l’univers équestre : les éditions Favre,
du Rocher et Actes Sud…
Je m’arrête là car on pourrait croire qu’il a 150 ans
tant il embrasse de causes et d’engagements. En 1990, il a réalisé un « raid » équestre de Paris à Moscou : 3 333
km couverts en 75 jours avec deux chevaux de race trotteur français,
Prince-de-la-Meuse et Robin.
Les chevaux peuvent se réjouir d’avoir un pareil porte parole.
Jean-Louis Gouraud, d'où
vient cette passion dévorante du cheval ?
Drôle de
question ! Pour moi, la vraie question serait plutôt : comment ne pas
être passionné par le cheval, cet être si mystérieux, si troublant, à la fois
si différent de nous et si proche ?
Plus
sérieusement : l’attirance que j’éprouve pour cet animal est d’abord
visuelle, physique, charnelle. Sa beauté, la grâce de ses mouvements à quelque
allure que ce soit, la douceur de sa robe, son odeur, l’insondable profondeur
de son regard. Bref, ce qu’on appelle le charme, qui provoque chez moi une
sorte de fascination, d’admiration, d’extase même !
Au-delà de cette
attraction, un peu puérile je le reconnais, exercée sur moi par le cheval, il y
a bien sûr beaucoup d’autres éléments qui contribuent à cette passion que vous
qualifiez à juste titre de « dévorante », que j’ai appelée dans un de
mes livres de près de 700 pages, une véritable « Hippomanie »
(éditions Favre, 2011).
Il y a, bien sûr,
tout ce qu’apporte la pratique équestre : la hauteur (on l’a souvent
dit : « Le cheval grandit l’homme », dans tous les sens du
terme), la vitesse, le contact avec la vraie vie, avec la nature – les grands
espaces, les parfums des saisons qu’on ne ressent plus dans la ville, et tout
et tout… Mais plus encore que les satisfactions, le plaisir que j’éprouve à
fréquenter les chevaux est d’ordre psychologique, et même philosophique. Je
n’ose pas dire mystique. Je ne me lasse pas de cette recherche d’harmonie
absolument nécessaire entre ces deux êtres aussi dissemblables que sont le
cheval et l’homme. Il est banal de rappeler que l’un est herbivore, l’autre
carnivore, que l’un est le gibier, l’autre le chasseur, voire le prédateur.
Comment faire comprendre au cheval que cette espèce bipède qui l’a pourchassé pendant
des millénaires est soudain devenue inoffensive, bienveillante, et même
protectrice ? Cela n’est possible que par le respect, la patience,
l’écoute, la séduction.
Voilà : c’est cela qui rend dévorante ma passion
pour le cheval.
Pourquoi œuvrez-vous autant
à la reconnaissance du cheval ?
Je ne sais pas si
j’œuvre vraiment à la reconnaissance du cheval, qui n’a d’ailleurs pas besoin
de moi pour être « reconnu », mais c’est vrai que j’aime rappeler, en
toutes circonstances, les immenses services que le cheval nous a rendu.
Un
célèbre hippologue du XIXème siècle Éphrem-Gabriel Houël l’a très
joliment dit : « Entouré d’éléments qui conjuraient sa ruine,
d’animaux dont la vitesse et la force dépassaient les siennes, l’homme eût été
esclave sur la terre : le cheval l’en a fait roi » !
Là où Houël
exagère un petit peu, c’est en oubliant de préciser que l’homme n’a eu l’idée
d’utiliser la force et la vitesse du cheval que très tardivement : il n’y
a guère que cinq à six mille ans.
Les premiers
signes de ce qu’on appelle la domestication du cheval sont en effet bien plus
récents, et donc bien plus tardifs, que ceux de la domestication du chien, du
bœuf ou du mouton.
À partir du
moment où l’homme a enfin découvert tout ce qu’il pouvait tirer du cheval, en
plus de sa viande, alors c’est vrai, il en a non seulement usé, mais abusé.
Pour remercier le cheval de ses bons et loyaux
services, j’ai proposé que soit édifié un jour, quelque part, un monument, par
lequel l’homme exprimerait sa reconnaissance à cet animal qui, comme dit Houël,
l’a fait roi. Avec mon ami le sculpteur Jean-Louis Sauvat, nous avons été très
loin dans ce projet d’érection d’une sorte de Monument au Cheval Inconnu :
les autorités russes s’étaient déclarées intéressées par l’idée. Et puis,
malheureusement, comme c’est souvent le cas en Russie, un changement d’hommes a
entraîné un changement de programmes.
Qu’on comprenne
bien que ce projet ne consistait pas à faire repentance. Non ! S’il est
vrai qu’il y a eu des abus autrefois dans l’utilisation du cheval. Il faut
souligner que primo, il y avait aux mêmes
moments (les guerres, en particulier) des abus de même ampleur dans
l’utilisation des hommes et que secundo
on ne peut juger avec les mentalités d’aujourd’hui les comportements d’hier.
J’ajoute,
un peu par plaisanterie, mais pas totalement, que si l’homme doit être
reconnaissant au cheval, les chevaux pourraient être reconnaissants aux hommes
d’avoir, purement et simplement, sauvés leur espèce de la disparition :
l’extinction naturelle des espèces chevalines sauvages prouve en effet que,
sans la protection de l’homme, le cheval n’aurait probablement pas
survécu !
En 20 ans, vous avez écrit
une centaine d'ouvrages consacrés au cheval, le sujet est inépuisable ?
En
vingt ou trente ans, j’ai écrit, c’est vrai, quelques livres, mais j’ai
surtout, comme éditeur, publié les livres des autres. Plus d’une centaine.
Parmi ceux-ci des chefs-d’œuvre de la littérature : italienne (Quarantotti
Gambini), allemande (Rudolf Binding), roumaine (Virgil Gheorghiu), américaine
(Sherwood Anderson) et bien sûr ! française. Surtout (c’est ma
principale fierté), j’ai publié en français des textes anciens
fondamentaux : le plus ancien traité équestre de l’histoire
(Kikkuli : 10 siècles avant Xénophon !) ou, tout récemment, le plus
ancien traité d’équitation de l’Europe chrétienne (du roi du Portugal Dom
Duarte : 3 siècles avant La Guérinière !)
Oui, une certaine culture
équestre est indispensable à la pratique de l’équitation et même, tout simplement,
à la fréquentation du cheval !
Dans votre dernier livre,
"Petite géographie amoureuse du cheval" vous racontez l'incroyable richesse
des cultures équestres. Quelle est la tradition équestre qui vous a le plus
surpris ?
La tradition
équestre qui m’a le plus étonné est celle que je viens de découvrir… en Corée
du Nord. Voilà un pays où il n’y a pratiquement pas de chevaux, mais où le
cheval est… omniprésent. C’est un cheval allégorique, un cheval parabolique, un
cheval politique !
Mais beaucoup
d’autres approches du cheval m’ont beaucoup intéressé. Par exemple, la question
de la primauté de tel ou tel sexe dans la reproduction. Chez nous, c’est
l’étalon qui compte, mais ce n’est pas le cas partout : dans certaines
cultures, c’est plutôt la poulinière. Mêmes diversités d’approches dans l’usage
des chevaux : comme le rappelle Jean-Pierre Digard, les cavaleries perses
utilisaient des chevaux entiers, les cavaleries turques des hongres et les
cavaleries arabes bédouines des juments.
Sexe
encore : chez les musulmans, certains (les Arabes principalement)
réprouvent l’équitation féminine alors que chez les nombreux peuples
turcophones (Kazakhs, Kirghizes, Tatars, Yakoutes, etc.), les femmes montent
autant à cheval que les hommes.
On peut
distinguer aussi des différences entre les peuples où l’on approche le cheval
par la gauche, et ceux où c’est par la droite.
Dans
ma petite géographie (qui, en fait, est énorme, puisqu’elle fait 600
pages !), je raconte ce que j’ai vu, compris ou essayé de comprendre en
Asie centrale, en Afrique du Nord, en Chine, en Inde, en Turquie et, un peu
aussi en Amérique du Nord mais ce qui, je crois, est le plus étonnant, le moins
connu, c’est la présence et l’usage du cheval en Afrique noire.
C’est vrai que,
sur une grande partie du continent, le climat (tropical) se prête peu ou mal à
l’élevage et la présence de la mouche tsétsé nuit au bétail, mais il ne faut
pas oublier que les grands empires du Sahel (Mali, Tchad, Niger, nord-Cameroun,
etc.) étaient dirigés par des cavaliers. Il en reste aujourd’hui des traces.
C’est ce que je raconte dans mon livre qui, en fait, est plutôt un recueil de
récits de voyages qu’un fastidieux traité de géographie équine. Ce n’est pas
non plus un atlas, ni un inventaire de toutes les races existantes, ce que mon
amie Elise Rousseau a déjà fort bien fait.
Moi, mon truc, ce sont plutôt les
narrations des découvertes faites au cours de mes expériences, mes explorations,
mes tribulations, mes pérégrinations.
Si pouviez choisir en quel
cheval vous réincarner, quelle race aurait vos faveurs ? Et
pourquoi ?
En
Inde déjà, une amie très savante m’a affirmé que j’étais la réincarnation d’un
cheval. Ce qui, en effet, expliquerait beaucoup de choses. Difficile de savoir
de quel type de cheval exactement.
Au physique, ce serait plutôt un solide
cheval paysan, genre cob. Mais au mental, ce serait quelque chose du genre
barbe : c’est-à-dire plutôt gentil, plutôt généreux, plutôt endurant. Et,
comme vous le voyez, plutôt modeste.
Vous voulez en savoir plus sur ses explorations du monde du cheval, lisez "Petite géographie amoureuse du cheval".
*Serko : En 1889, monté sur un
petit cheval gris nommé Serko, Dimitri Nicolai Pechkov quitte sa garnison des
confins asiatiques de l'Empire russe sur les bords du fleuve Amour. Après
d'extraordinaires péripéties, tous deux arrivent à Saint-Pétersbourg, à la cour
du Tsar. En couvrant 8 838 kilomètres en moins de 200 jours, soit près de 60 kilomètres par jour, Serko et
son jeune cavalier réalisaient ainsi un fantastique exploit équestre.
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