Anne Mariage, pionnière dans les voyages à cheval

Anne Mariage, pionnière dans les voyages à cheval

Europe / France / Portraits 15
Au début des années 1970, les professionnels du tourisme équestre étaient rares.
Imaginez. Nous sommes autour d'un feu de bois. Nous avons chevauché toute la journée, les chevaux se reposent, le ciel est étoilé. Nous avons la nuit devant nous. Quelqu'un demande : " Comment cela a-t-il commencé ? "
1972, Anne Mariage commence à organiser des voyages à cheval en Lozère et dans le monde. Ce sont les bases de Cheval d'Aventure.

Anne Mariage, qui êtes-vous ?

Petite, j’aimais l’odeur des feux allumés pour brûler le bois mort, et la fumée qui s’attardait quand on allait, au crépuscule, s’assurer que les braises étaient inoffensives. Deuxième d’une famille de six enfants – trois garçons et trois filles –, je vivais près de Tournai, en Belgique. Mon père, ingénieur, était apprécié pour sa culture et sa vivacité d’esprit ; il savait écouter sans juger, conseiller et aider. Ma mère, tout en douceur, discrète, secrète même, avait fort à faire pour gérer la maisonnée.
Dès l’enfance, j’ai dû composer entre l’autorité et mes propres désirs car notre éducation, à l’ancienne, ne laissait pas beaucoup de place à la fantaisie : on filait doux sous l’autorité d’un père aux décisions sans appel. Comme beaucoup d’adolescents, j’étais avide d’indépendance, Antigone et Rimbaud étaient mes héros.
Anne Mariage déjà cavalière @Blog Cheval d'Aventure
Anne Mariage déjà cavalière @Blog Cheval d'Aventure
J’ai appris la patience en me répétant : “Un jour, je ferai ce que je veux.” J’opte pour des études littéraires, mon inclination naturelle. Diplôme en poche, j’avais rempli mon contrat face aux exigences familiales et acquis mon indépendance.
J’ai trouvé un job au pair à Washington, j'y reste un an. Au cours de l’été, je pris congé de la famille  et me lançai dans un périple en bus Greyhound.
Après cette année aux États-Unis, je choisis de rentrer en bateau : embarquer à bord du France, le paquebot le plus grand et le plus rapide de son temps, un autre rêve.
Cette année américaine me conforta dans le choix d’une vie indépendante et d’une attitude positive et confiante : “Si je le veux, je le peux.” J’ai persisté dans l’envie de découvrir d’autres modes de vie, de comprendre et d’échanger avec des êtres différents.
À peine rentrée en Belgique, j’exerçai mon métier de professeur de lettres, à Leuze, une petite ville du Hainaut, campagne wallonne paisible, entre Bruxelles et Lille. J’ai aimé l’enseignement, où il est possible de communiquer une passion et d’intéresser de jeunes personnalités curieuses et de bonne volonté.
En même temps, je souhaitais plus d’action. Dès le retour en Belgique, j’ai suivi assidûment les cours d’équitation d’un maître de la gendarmerie à cheval, intransigeant et excellent pédagogue. J’y découvrais ce qu’on appelle l’équitation” : tourner dans la sciure, mordre la poussière et, progressivement, communiquer avec le cheval, acquérir des techniques, gagner de l’assiette, passer des obstacles, aborder de nombreux chevaux et “faire des promenades”… Mais cela n’avait rien à voir avec Yellowstone, dont l’empreinte restait vivace.
Etait-il possible de retrouver cette intensité d’aventure, un contact aussi authentique avec la nature, les chevaux, des cavaliers ?  
C’est à cette époque que Françoise, une amie, me dit : “Ariane est allée l’été dernier en Lozère faire une randonnée à cheval, qui m’a rappelé ce que tu me racontais de Yellowstone : plusieurs jours à cheval dans une nature sauvage, dormir à la belle étoile, cuisiner sur des feux de bois. Si tu veux, je lui demande l’adresse.” J’ai contacté Louis Chardon à l’Habitarelle en Lozère, il m’a envoyé son programme.
En juillet 1964, j’étais en selle pour une randonnée à cheval de quatre jours.  
Anne Mariage à cheval @Blog Cheval d'Aventure
Anne Mariage à cheval @Blog Cheval d'Aventure

Comment vous est venue l'idée de créer des voyages à cheval ?

La naissance de Cheval d'Aventure

Ma première vraie découverte du cheval était mêlée de nature sauvage et de rencontres passionnantes. Ces éléments sont restés pour moi indissociables, s’exaltant les uns les autres : si le cheval est une source de grands bonheurs, il est aussi un medium rêvé pour un contact privilégié avec la nature et les compagnons de chevauchée ou de rencontre.
Le postulat était clair : pour découvrir des régions sauvages et rencontrer des peuples différents, les expéditions équestres devaient s’éloigner de ce qu’on appelle la “civilisation”. Tout serait prévu et organisé le mieux possible, l’accompagnateur ferait face aux aléas mais, dans des lieux si éloignés des villes, il était impossible de “sécuriser” au maximum ; l’inconfort et les impondérables s’inviteraient à coup sûr.
Ainsi est né Cheval d’Aventure.
Brochures et fiches techniques décrivaient le voyage à cheval avec le plus de vérité possible, sans oublier les conditions de vie, spartiates aux yeux de certains : logement en bivouac, absence d’abri, climat parfois imprévisible, froid ou chaleur, altitude, cuisine locale sur feux de bois, toilette dans les rivières, participation aux tâches du camp et soins aux chevaux, éloignement des secours. Tout était clairement exprimé comme condition préalable à une inscription. Ceux qui ne souhaitaient pas adhérer, voulaient une douche et l’électricité le soir, mettre les pieds sous la table à l’étape ou avaient envie d’utiliser les chevaux à leur guise puisqu’ils avaient payé pour” choisiraient d’autres départs.
Bivouac lors des randonnées à cheval @Blog Cheval d'Aventure
Bivouac lors des randonnées à cheval @Blog Cheval d'Aventure
S’inscrire à un voyage de Cheval d’Aventure signifiait souscrire à une sincère solidarité entre cavaliers, accepter les choix de l’accompagnateur pour les allures à cheval, respecter les modes de vie, les animaux, pâturages et points d’eau, être courtois envers les personnes rencontrées et les équipes d’assistance. Nous étions “chez eux” ; pas question de nous immiscer dans les lieux où ils ne nous inviteraient pas, de faire les gestes que leurs traditions réprouvent, de les photographier sans leur accord.
Une seule dérogation : quand il est arrivé (rarement) qu’on nous propose des animaux blessés ou boiteux, je refusais qu’ils soient montés. Le message était compris : l’année suivante, nous n’avions que des chevaux en état.
En revanche, face aux traditions multiples et parfois contradictoires sur la façon de seller, sangler, brider, attacher, nourrir, abreuver, nous avons toujours respecté la pratique locale à laquelle nos montures étaient habituées. Tout au plus demandions-nous un tapis de selle plus épais (ils ont tellement de feutres en Mongolie !), des étrivières plus longues (au Tibet ils montent comme des jockeys).

L'esprit de mes randonnées à cheval 

Je savais la magie des espaces libres, des rencontres, des feux de bois, des nuits sous les étoiles. Je savais que l’expérience serait très forte, que l’empathie était contagieuse, qu’il suffisait du ferment d’un accompagnateur et de quelques “anciens” pour que, entraînés par le groupe, tous se surpassent. Ainsi, en plus de monter des chevaux généreux, de connaître une nature intacte et des rencontres humaines hors du commun, les cavaliers se découvriraient des talents insoupçonnés. Cette expérience humaine était pour moi le plus important.
C’est sur ce critère que j’estimais une randonnée à cheval réussie : que les cavaliers aient été plus heureux. Je dis cela sans prétention car, ce bonheur-là, ils le devaient à eux seuls. Je me contentais de leur proposer les conditions de le trouver.
Des jeunes et des plus âgés qui redeviennent des enfants, des curieux, des dénicheurs, des férus de botanique ou de géologie, ceux qui ont des histoires ou une vie entière à raconter et ceux qui aiment écouter, ceux qui ont le talent de faire rire, ceux qui sont toujours prêts à aider, les actifs, les imaginatifs et puis les rêveurs, les discrets, les contemplatifs…
Un beau cru d’humanité avec qui goûter la solitude sans être isolé. C’est pourtant une école de vérité : loin des faux-semblants et des marquages sociaux, les personnalités sont mises à nu face à des situations inhabituelles. En dépit de coups de fatigue, parfois d’épuisement, de malentendus, de grogne passagère, d’altercations, surviennent d’irremplaçables moments de plénitude, de fraternité, de joie collective.
La randonnée équestre est une parenthèse – on ne se reverra peut-être plus jamais – mais pour dix jours, quinze jours ou trois semaines, il est possible de donner le meilleur de soi. Des couples se sont formés ou dénoués, beaucoup d’amitiés indéfectibles sont nées. Certains ne sont jamais revenus mais beaucoup ont convié des amis cavaliers à les accompagner pour un voyage à venir.
Bonne ambiance pendant les randonnées à cheval @Blog Cheval d'Aventure
Bonne ambiance pendant les randonnées à cheval @Blog Cheval d'Aventure
Organiser une chevauchée, c’est un métier : il faut prendre des contacts, sélectionner une région et une saison adaptées, un itinéraire, une équipe locale, des chevaux, s’assurer de la fiabilité… Ce long travail en amont permet au cavalier qui ne dispose que de quelques semaines de vacances d’entrer immédiatement dans le vif d’une randonnée qui tient la route.
Les voyages avaient un prix qui couvrait les frais et me permettait de vivre. Je n’ai jamais voulu être une “marchande” de voyages à cheval.
Je voulais partager, avec les cavaliers qui acceptaient de jouer le jeu, cette triple passion du cheval, de la grande nature, des vraies rencontres. Je n’ai jamais “ciblé une clientèle”, mots bannis de mon vocabulaire et de mon esprit. Je n’ai jamais songé à un voyage pour le seul motif qu’“il se vendrait bien”.
Si des cavaliers avaient envie d’autres départs, ils pouvaient aisément s’adresser à des collègues, de plus en plus nombreux, qui avaient leurs propres choix de destinations et de formules, et c’était bien pour tout le monde. Je me contentais de proposer les voyages dont j’avais personnellement envie et les ai construits avec les extensions qui me plaisaient. À cette condition, j’étais certaine de pouvoir les partager de bon cœur.
Pendant plus de dix ans, j’ai accompagné personnellement toutes les expéditions à cheval et, pendant trente-cinq ans, ouvert la majorité des nouveaux itinéraires. J’ai eu la chance que des cavaliers me fassent confiance, choisissent de partager les aventures que je proposais et me permettent ainsi de continuer des explorations. Tout s’est organisé sur le tas et développé, pendant longtemps sans plan élaboré. 

Conclusion

Et puis, en 2005, le temps était venu de transmettre les rênes de Cheval d’Aventure.
J’ai choisi de les confier à un groupe de cavaliers passionnés, issus de l’agence de trekking Atalante, que dirigeait Christophe Leservoisier. La marche était leur manière de découvrir le monde. Christophe, qui avait guidé de nombreux groupes au sommet du Kilimandjaro, au Sahara et ailleurs, était aussi cavalier. Depuis longtemps nous savions que l’état d’esprit de nos voyages était très semblable.
La “passation” des rênes de Cheval d’Aventure s’est faite à cheval, au sein d’un groupe d’amis cavaliers, au cours de la première expédition dans le désert d’Atacama, au Chili. Nous étions d’accord sur tout. Il restait seulement à s’entendre sur la façon de gérer les galops !
Passation et galop au Chili @Blog Cheval d'Aventure
Passation et galop au Chili @Blog Cheval d'Aventure
Cheval d’Aventure garde son nom et son indépendance, et poursuit son essor, animé avec talent par Christophe et ses collaborateurs. Les accompagnateurs continuent à inventer leur chemin et à allumer des étoiles sur leur passage. Je me sens toujours très proche d’eux et des cavaliers qui ont partagé les évasions de Cheval d’Aventure.
Les difficultés et bonheurs vécus ensemble ont changé notre vie, et rien ni personne ne peut nous les enlever : ils appartiennent à un temps immuable qui dure toujours.
 “Le rêve n’a pas de fin – ce qui s’est passé se déroule encore et encore” (Parole aborigène papunya)
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