Hermès et le cheval : une longue histoire d'amour
A l'occasion du Saut Hermès, au Grand Palais à Paris, nous avons rencontré le maître-sellier et la directrice artistique du patrimoine de cette prestigieuse maison, intimement liée au cheval depuis 1837...
A cheval entre tradition et modernité
A 60 ans, Laurent Goblet a 42 ans de maison chez Hermès ! Le maître-sellier de cette entreprise au rayonnement mondial nous raconte son parcours et sa passion.
Laurent Goblet, quelle fonction occupez-vous aujourd’hui chez Hermès ?
Ma fonction officielle est responsable du développement produit selle. A ce titre, je m’occupe de tout l’aspect technique, je conçois les nouveaux modèles, je développe les créations de nouvelles selles, j’honore les commandes spéciales, etc.
Quelle est votre formation ? Quel a été votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?
J’ai commencé comme apprenti à l’âge de 14 ans aux ateliers Grégoire, rue de l’abbé Grégoire, en CAP de sellier-maroquinier. C’est une formation sur trois ans, durant laquelle on apprend tous les métiers du cuir : gainerie, sacs, portefeuilles…
De la maroquinerie à la sellerie
En 1977 je suis rentré chez Hermès et c’est là que j’ai appris mon métier de sellier. J’ai commencé comme tout le monde par l’atelier de maroquinerie, on y passe tous, et puis au bout de deux ou trois mois, je suis entré à la sellerie.
Vous souhaitiez être sellier depuis longtemps ?
Oui, depuis tout jeune. D’ailleurs j’avais fait des stages chez des selliers, à Chantilly notamment, et à New Market en Angleterre, qui est la ville du cheval à cause des courses !
Etes-vous cavalier ? Et peut-on être un bon sellier sans être cavalier ?
Oui je suis cavalier, et je pense en effet que c’est vraiment important d’être aussi cavalier pour être sellier !
Des cavaliers partenaires
Tout jeune, je montais des chevaux de courses pour le loisir. Je suis resté cavalier de loisir, je monte encore en balade pour le plaisir, par exemple quand je pars en vacances en Bretagne. Et bien sûr, il m’arrive aussi de monter lorsque nous allons tester le produit chez nos cavaliers partenaires.
Je vais galoper un petit quart d’heure, trotter… J’ai besoin de sentir le produit, de comprendre les sensations du cavalier – la proximité avec le cheval, l’équilibre, le confort… C’est quand on est assis dans la selle qu’on se rend vraiment compte si ça va, s’il y a des points de gêne, des choses à ajuster, améliorer, etc.
Tester le produit chez des cavaliers-partenaires, c’est une spécificité de Hermès - en tout cas vous avez été assez visionnaires sur ce point ?
En effet, nous faisons ça depuis 20 ans environ, c’était déjà le cas avec Margitt Otto-Crépin pour le dressage, Nelson Pessoa pour le CSO, Marie-Christine Duroy pour le complet…
Equitation sportive internationale
Dans les années 1995-2000 ce rapport avec les cavaliers était déjà important pour nous. Aujourd’hui, cette démarche est beaucoup plus importante, c’est notre façon d’améliorer encore notre travail. On fait appel à des cavaliers de tous horizons, de toutes nationalités – Allemands, Américains, Brésiliens… qui reflètent l’équitation internationale d’aujourd’hui. Cela nous permet d’avoir tous les échos, de voir les différentes façons de monter, de nous ajuster par rapport aux différents gabarits, etc.
Quelle est la proportion de selles standard et sur-mesure chez Hermès ?
Nous disons souvent dans la maison que notre
premier client est le cheval, et le second son cavalier ! Tous les chevaux
et cavaliers sont uniques, aussi nous proposons des selles sur mesure à l’ensemble
de nos clients, avec un souci particulier porté sur l’adaptation des panneaux
de la selle au dos du cheval.
Combien d'artisans selliers travaillent aux produits destinés aux chevaux et à l'équitation ? Quelle est la proportion de jeunes, et la proportion hommes/femmes ?
A l’atelier Selles, une quinzaine de personnes travaille exclusivement sur les selles. Il y a entre 70 et 80 % de femmes.
Nombreuses candidatures de selliers
Et nous avons essentiellement des jeunes, ce qui est positif ! Les plus anciens ont la quarantaine, beaucoup ont la vingtaine. Et c’est vrai qu’on reçoit pas mal de demandes et de candidatures. De plus en plus, d’ailleurs, car on est dans une vraie dynamique et on a des selles qui fonctionnent vraiment bien.
Prenez-vous en compte ce qu’on appelle aujourd’hui l'aspect "saddle-fitting" pour adapter la selle au cheval, au cavalier... ?
Le saddle-fitting, je l’ai toujours beaucoup travaillé ! Pour moi, ça a toujours été une évidence. Mon objectif ultime : le cavalier doit être proche du cheval sans le blesser. On cherche toujours à avoir le moins de gêne possible, au niveau de l’arcade du garrot par exemple, ou en améliorant les sanglons pour que la sangle se positionne mieux, etc. On pense toujours qu’on fait un siège pour le cavalier, pour qu’il soit en « close contact » quand il s’assoit.
J'ai toujours été sensible à cette recherche de l’ergonomie. D’ailleurs, on ne transforme pas une selle juste en changeant sa couleur, mais en jouant justement sur son ergonomie. Et on travaille en collaboration avec des professionnels, des kinés ou ostéopathes par exemple, ou des vétérinaires qui ont des outils pour connaître exactement les points de compression sur le cheval. Aujourd’hui on peut reproduire en virtuel le dos du cheval.
C’est le point fort de la maison Hermès ? Savoir allier tradition et modernité ?
Oui, rester fidèle à la tradition mais sans être
figés.
Innovation et savoir-faire
C’est aussi ici qu’intervient l’importance de l’innovation dans notre
métier, innovation des matériaux bien sûr, mais également des savoir-faire, tout
à gardant à l’esprit nos 180 ans d’artisanat.
Les artisans ont-ils chacun une spécialité (coupe, couture, assemblage...) ou font-ils une selle de A à Z ?
C’est moi qui fais les patrons, manuellement. Puis ça part à la coupe auprès des artisans coupeurs qui travaillent à
la main, ou bien à l’aide de machines de découpe numérique. Ensuite, les selliers travaillent la selle de A à Z. Ils reçoivent tous les morceaux et ils font l’assemblage. On reste dans l'artisanat !
Quels sont les points forts d'une selle Hermès ?
C’est un tout. Ce sont beaucoup d’années de travail, beaucoup de réflexion. On cherche toujours à s’améliorer. On a un souci d’exigence concernant l’efficacité du produit, sa beauté, la qualité du cuir, du montage… L’efficacité est prioritaire, la beauté vient après. Disons que si une selle est efficace et, qu’en plus, elle est belle et élégante, là on peut être fier ! On a été éduqués dans la finesse et la finition, on a baigné dedans depuis toujours, c’est la magie d’Hermès…
Avez-vous une spécialité dans les selles - plutôt compétition, par exemple ? Comment vous adaptez-vous au développement actuel de l'équitation de loisir, qui prend le pas sur la compétition ?
Chez Hermès c’est le sport équestre qui fait référence, d’où nos cavaliers-partenaires qui sont de grands cavaliers de compétition. Mais vous savez, faire du concours en amateur, le week-end, c’est aussi de l’équitation de loisir…
Des selles polyvalentes
On saute des barres, on travaille sur le plat, on sort le week-end en CSO… C’est comme pour passer son permis de conduire, il faut avoir les bases. Et puis, avec une bonne selle d’obstacle, on peut aussi faire de la balade !
Etes-vous content de votre dernière-née, la selle Hermès Vivace, qui a été officiellement présentée au Saut Hermès au Grand Palais en mars 2019 ?
Plutôt content, en effet. Voilà typiquement une selle « standard » mais riche d’une belle gamme d’options, très développées. Il y a 5 tailles de siège, 2 tailles d’ouverture d’arcade pour le cheval, 3 positions du quartier (avancé, court, long…) Avec tout ça, si on ne trouve pas son bonheur !
Propos recueillis par Natalie Pilley
Rencontre : Ménéhould de Bazelaire, directrice artistique du patrimoine d'Hermès
A 18 ans, Ménéhould de Bazelaire avait acheté son tout premier parfum : c’était « Amazone » d’Hermès, une marque qu’elle connaissait à peine ! Aujourd’hui directrice artistique du patrimoine d’Hermès, elle nous en retrace l’historique et nous explique en quoi la beauté du cheval a toujours inspiré les différentes créations. Morceaux choisis de notre entretien, à propos de…
Les débuts d’Hermès en Normandie…
L’histoire d’Hermès commence par un voyage : celui du fondateur Thierry Hermès, né à Krefeld, en Allemagne. Il est parti à pied, sur 1000 kilomètres, jusqu’à Paris, d’où il gagnera bientôt la Normandie. Il a commencé à travailler comme sellier à Pont-Audemer, dans l’Eure, au début des années 1830. Il s’est ensuite installé en 1837 à Paris, au 56 rue Basse-du-Rempart, où la manufacture est restée jusqu’en 1880. C’est à cette date que la maison a emménagé au 24 rue du Faubourg Saint-Honoré, sa prestigieuse adresse actuelle. Charles-Emile Hermès, qui avait succédé à son père, Thierry, décédé en 1878, était visionnaire, car à cette époque de l’achèvement des travaux du baron Haussmann, c’était en train de devenir le beau quartier !
Hermès et le cheval : un rêve romantique
1837, c’est l’époque romantique. Le cheval est omniprésent, la France fait tout pour rattraper son retard par rapport à l’Angleterre puisqu’à cause de la Révolution et des guerres napoléoniennes, on avait en France beaucoup moins de chevaux. L’objectif était de redonner une vitalité à tous les métiers du cheval. Au XIXème siècle, on rentre dans l’époque industrielle, celle de la motorisation. Le cheval est de moins en moins utilisé pour le transport, mais s’impose dans la vie urbaine comme une image de l’un des derniers liens avec la nature. Dans l’art, il revêt une aura romantique - chez Delacroix ou Géricault en peinture, chez Victor Hugo en littérature… L’homme et le cheval, c’est un grand rêve romantique dans la lignée du courant orientaliste. Et ce rêve nous habite encore : Hermès a été fondé pour le cheval, qui est notre raison d’être. Et aujourd’hui, au XXIème siècle, c’est encore lui qui nous guide et nous entraîne !
Le cheval au cœur de la société du XIXème siècle
Sous Napoléon III, on parle de la « centaurisation de la société ». Contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas au XXème siècle que l’équitation est devenue accessible aux femmes ! D’ailleurs, la plus ancienne pièce de la maison Hermès, où l’on peut lire sur étiquette « manufacture de sellerie E. Hermès, rue Basse-du-Rempart, » est une selle d’amazone des années 1850. Cette selle a été présentée sur le stand de l’Exposition Universelle en 1867, année où Hermès y a remporté sa première médaille.
Autre idée reçue à combattre : le cheval n’était pas réservé aux aristocrates. En témoigne le tableau de Rosa Bonheur « Le marché aux chevaux » (1852-1855), qui rend hommage au « cheval populaire ». En témoigne aussi le tout premier carré Hermès, créé en 1937, inspiré par un jeu de société des années 1830 qui rend hommage aux chevaux de transport en évoquant les premières compagnies de transport en commun, la « Compagnie des omnibus et des dames blanches ». Omnibus, cela signifie « pour tout le monde ». Car c’est le peuple qui prenait l’omnibus tiré par des chevaux. Rappelons qu’avant 1830, il n’y avait pas de transports en commun !
Cheval et industrialisation
A la troisième génération, il a fallu se diversifier puisque le cheval n’était plus utilisé pour le transport : Emile Hermès, le petit-fils du fondateur Thierry, a parfaitement su accompagner cet adieu au cheval de transport. La maison fait un bond : elle se diversifie avec la bagagerie. Dans la revue « L’Homme Elégant » de 1921, on trouve la première publicité pour Hermès, qui présente notamment une ceinture double anneau adaptée au confort des voyageurs !
Dès 1902-1903, Hermès conçoit des sacs pour les cavaliers afin de transporter leur selle, comme alternative aux anciennes malles rigides. Au début du XXème siècle, ces sacs sont en effet plus pratiques, on peut y mettre sa selle, ses bottes, sa cravache… Pour les cavaliers, Hermès conçoit aussi des fontes et sacoches, des kits de pansage, des étuis pour les cure-pied…!
Après la guerre de 14-18, Emile Hermès choisit d’ouvrir des ateliers de couture où l’on fabrique même des costumes de bain. Il sort de l’univers purement équestre. Mais on ne trahit pas le cheval, on s’adapte !
Même quand il s’agit de créer des meubles ou des accessoires, la beauté du cheval nous inspire, et le cheval nous « accompagne » par son énergie, son élégance…. Et puis le cheval n’a pas dit son dernier mot : il revient dans la ville aujourd’hui !
Le cheval, première source d’inspiration
Du cheval, nous avons appris l’exigence. Le cheval ne sera jamais une fashion victim ! Il est hors de question qu’il souffre ou que sa selle l’alourdisse ou le ridiculise. Avant la mode, passe le confort. Ce n’est pas une marque qu’on doit mettre en valeur, c’est la silhouette du cheval. « Jamais l’élégance d’un garage ne remplacera le chic de l’écurie », écrivait Colette. Et elle avait raison : le chic, c’est naturel !
Un musée privé
Il existe un petit musée privé, situé au-dessus du magasin de la rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, une caverne d’Ali Baba qui renferme de véritables trésors sur l’histoire du cheval et de l’équitation – dont une statuette de cheval de la vallée de l’Indus (Inde/Pakistan) datant de près de 3000 av J.C. On y trouve des fontes et sacoches anciennes pour cavaliers, ou encore des flasques permettant au cavalier de boire un peu d’alcool tout en chevauchant… Cette collection, initiée par Emile Hermès, continue encore aujourd’hui d’être enrichie d’objets du monde entier qui tous à leur manière parlent du cheval.
Hermès aujourd’hui
Aujourd’hui, c’est la sixième génération de la même famille fondatrice ! Depuis 2013, Axel Dumas, petit-fils d’une demoiselle Hermès, est à la tête de la maison. Hermès ce n’est pas juste une image, ce n’est pas figé. Rien ne se durcit plus qu’un code… La maison est prête pour la modernité, parce que le cheval a toujours été moderne. Un cheval « vieillot », ça n’existe pas ! Et le fait que notre atelier sellerie travaille à l’âge du numérique, ça empêche Hermès de devenir une institution et de se prendre au sérieux, ça nous bouscule. Avec le cheval, on n’est jamais sur une statue, mais sur un animal vivant. Notre sellerie est toujours en quête d’innovation.
L’atelier sellerie, l’âme de la maison
Derrière chaque selle, il y a une âme, une histoire… L’un de nos selliers dit toujours : « Quand j’ai fini une selle, je lui donne un baiser. Je ne connais pas le client, mais j’y ai mis tout mon cœur ». Les points forts d’une selle Hermès L’élégance, bien sûr. Le cheval est élégant, donc on essaye d’être élégants. La finesse du travail, la finition dans les détails… On allie ce sens de l’esthétique et cette quête du point de fusion entre la technique, l’innovation et le confort.
Nos selliers sont à la fois des artistes et des artisans ! Et la longévité, bien sûr. Un produit Hermès doit durer ! Quand on s’offre une selle Hermès, c’est pour des années. Robert Dumas a dit : « Pour nous le luxe, c’est ce qui se répare ». La durée n’est pas la mode d’un moment. Et chaque projet de nouvelle selle, c’est le résultat d’une longue maturation. Voyez les conceptions de Laurent Goblet, qui a plus de 40 ans de maison et qui est un ancien jockey. Avec lui, tout est pensé…
Propos recueillis par Natalie Pilley .
Merci à la photographe Annemarie Ledoux (spectacles-equestres.fr), consultez son site et sa page Facebook
Photo édito : Eduardo Alvarez Aznar (ESP) © Frédéric Chéhu
Pour en savoir plus sur Hermès, consultez la rubrique équitation du site Hermès
Ainsi que le site du Saut Hermès 2019 avec notamment la liste des cavaliers-partenaires et leurs témoignages
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