Selliers Gaston Mercier, de père en fils
On ne présente plus
la sellerie Gaston Mercier, tant appréciée des cavaliers de randonnée et
d’endurance depuis plus de trente ans. Nous vous invitons à en découvrir les
coulisses, dans cet Aveyron sauvage et préservé qui lui sert d’écrin…
Un savoir-faire aveyronnais
Mars 2019. Au cœur du magnifique département de l’Aveyron, de village en village, une petite route tortueuse nous mène jusqu’au Mas de Vinaigre, à Saint-Léons.
Je m'y rends en compagnie de Christophe Leservoisier, directeur de Cheval d'Aventure, qui en profitera pour choisir des sacoches et des fontes destinées à sa prochaine randonnée en Namibie. Mais avant tout, nous sommes heureux de rencontrer, chez eux, les fondateurs d'une marque avec laquelle nous avons tant de choses en commun : une histoire, une éthique, un partage d'expériences et de valeurs ...
Des chiens nous accueillent devant un corps de ferme en pierre de pays entouré de granges, d’écuries et de prairies boisées. Une dizaine de chevaux vit sur place, essentiellement des demi-sang Arabes élevés par Manuel Mercier pour l’endurance.
Une éthique au service des chevaux et des cavaliers
Bien plus qu’un simple atelier-magasin, la sellerie Gaston Mercier est un lieu de vie. C’est peu dire que l’âme du lieu s’accorde avec l’esprit de famille, le souci d’éthique et l’exigence de qualité propres à la marque… Une marque profondément ancrée dans son terroir et farouchement attachée à ses traditions - tout en sachant innover -, qui n’a jamais cédé aux sirènes de la délocalisation !
L’ancienne grange à foin, transformée en vaste boutique et lieu d’accueil pour les clients, fleure bon le cuir et le bois. Gaston Mercier, 76 ans, nous invite à découvrir une partie de sa collection de selles anciennes, exposée sur deux niveaux.
Gaston Mercier : une passion toujours intacte
Aveyronnais pure souche, œil vif, poigne ferme… On sent un homme volontaire et déterminé, à la passion toujours intacte. Présent chaque jour à la sellerie, celui qui se considère « plus comme un concepteur qu’un sellier » continue inlassablement de réfléchir, imaginer, tester… Même s’il est officiellement à la retraite, puisqu’il a transmis les rênes de l’entreprise à son fils Manuel, 43 ans.
Aux murs, des posters géants racontent l’histoire de la famille : père et fils botte à botte, à cheval dans la neige ; ici, Gaston Mercier tout jeune en course d’endurance ; là, un peu plus âgé, traversant à cheval le viaduc de Millau… Dispersés dans la pièce, des sièges de bar en cuir, en forme de selle et de couleurs variées, invitent les visiteurs à s’y poser. « C’est le principe assis-debout, ça plait bien, remarque Gaston. On en vend même aux toubibs ou aux ostéos ». Un chat blanc traverse la pièce et, d’un bond, va se lover avec délice sur le siège d’une selle en présentation. Amusé, Manuel vérifie néanmoins du coin de l’œil qu’il ne sort pas ses griffes sur le cuir flambant neuf !
Selles aux lignes épurées
Oui, l’atmosphère est belle et chaleureuse dans ce lieu chargé d’histoire où se côtoient les dernières créations – selles aux lignes épurées, étriers, étrivières, sangles, brides, tapis, chaps, bagages…. – et la cinquantaine de selles « collector » issues de diverses cultures équestres - western, camargue, amazone, McClellan de 1918… et même une vieille selle de Spahi d’Afrique du Nord, à la forme étonnante.
L’un des trésors de la collection ? Une drôle de vieille selle très plate, sans laquelle, peut-être, la sellerie Mercier n’existerait pas : « C’est une selle de présentation de jeunes chevaux pour l’armée datant du 19 ème siècle, explique Gaston. .C’est
avec cette selle que j’ai été deux fois champion d’Europe et une fois champion
de France d’endurance. Et avec le même cheval, Mao IV, un demi-sang Arabe – ça,
c’est unique dans l’histoire de l’endurance ! Je m’en suis inspiré pour positionner le cavalier différemment, avec un siège reculé par rapport au garrot - moins sur l’avant-main et plus sur l’arrière-main. C’est ça qui permet de donner au cheval plus d’équilibre dans son avant-main ».
Le siège reculé par rapport au garrot
On touche ici à la spécificité des selles Gaston Mercier, cette fameuse « marque de fabrique » qui lui est propre et fait son identité depuis trente ans : une approche visionnaire, voire révolutionnaire, parfois moquée ou critiquée à l’époque ! Aujourd’hui encore, toutes les selles Gaston Mercier sont conçues selon ce principe qui positionne le cavalier au-dessus de la 13ème dorsale du cheval, cet « unique point de force et de mobilité du cheval », bien en arrière du garrot.
Gaston Mercier nous montre ensuite alors sa toute première selle de randonnée, celle qu’il a conçue et fabriquée sur ce même principe dans les années 70 en s’inspirant… des arçons de selles mexicaines. Au fond, c’est le développement en France du tourisme équestre et de l’endurance qui est à l’origine de la sellerie Mercier : « D’abord il y a eu la randonnée, puis l’endurance est arrivée, se souvient Gaston. C’est ici, dans l’Aveyron, qu’on a organisé la toute première course, sur le modèle de la Davis Cup aux États-Unis. Ça s’appelait « les 100 km de Rodez » ! C’était en 1976, et franchement, quand on est partis le matin, on ne savait pas trop où on serait le soir ! À l’époque, il y avait très peu de chevaux en France, rien à voir avec aujourd’hui. Et à propos du tourisme équestre, les gens disaient que c’était une mode qui passerait au bout de six mois ».
Guide de tourisme équestre
Mais Gaston Mercier y croit, et devient guide de tourisme équestre. Parallèlement à la randonnée, il pratique assidûment l’endurance en compétition. Il se met alors à concevoir des selles adaptées à cette équitation d’extérieur qu’il aime tant : « Ça ne fait pas sérieux de dire ça, mais à la base je ne suis pas sellier, et je n’ai toujours pas de diplôme ! plaisante Gaston. Au départ, j’ai bricolé des selles, tout simplement… Mais heureusement que je n’étais pas sellier, ça m’a permis de prendre du recul sur la fabrication. Car du coup je devais trouver moi-même d’autres processus de fabrication, avec mon objectif qui était la légèreté à tout prix. »
Arçon en composite comme pour les kayaks
Pour y parvenir, Gaston Mercier voit plus loin : « J’ai été le premier à travailler avec des arçons en polyester d’abord, puis en composite - la matière utilisée pour les kayaks ». Là encore, en n’ayant pas recours aux arçons traditionnels en bois, Gaston Mercier passe pour un farfelu : « Pour alléger le poids de mes selles, j’ai utilisé des fibres de verre, du carbone, du lin… Dans la résine, on met ce qu’on veut. Mais dans les années 80, je faisais office d’extra-terrestre ! Pourtant, le Général L’Hotte le disait déjà, et même d’Orgeix m’a dit un jour : « T’as tout compris ». Une selle plus légère, c’est idéal pour toutes les disciplines - et à plus forte raison quand vous restez très longtemps en selle, donc pour la randonnée ou l’endurance ».
Objectif atteint : en moyenne, les selles Gaston Mercier pèsent entre 4 et 5 kilos. Et certains modèles spécifiques, comme la « Florac » destinée à l’endurance, seulement 2 kilos ! Au début, Gaston Mercier se contente de concevoir ses selles, qu’il fait fabriquer par des « vrais selliers », d’abord Delgrange, puis Forestier. Et puis, en 1987, il choisit d’arrêter la sous-traitance et de les fabriquer lui-même : «C’est un article de l’Éperon qui est à l’origine de ma décision. En 1987, devenu champion d’Europe d’endurance, j’ai équipé Xavier Libbrecht, le rédacteur en chef, à la course d’endurance « le Raid d’Artagnan », sur un itinéraire allant de la baie de Somme jusqu’à Paris. 220 km en une journée, avec 4 chevaux différents mais une seule selle ! Xavier Libbrecht a écrit un long article sur cette course, et j’ai eu droit à une page entière sur ma selle. Ça a été le déclic ».
Pour la petite histoire, sachez d'ailleurs que pour les 30 ans du Raid d’Artagnan en 2017, le même exploit a été réitéré par le cavalier Brandon Guedj… lui aussi sur une selle Gaston Mercier !
Atelier et boutique à 20 km de Millau
Gaston Mercier commence alors à fabriquer ses propres selles, puis son premier atelier ouvre en 2000 à Sévérac-le Château, toujours en Aveyron, avant d’être définitivement transféré au Mas du Vinaigre en 2007. Manuel, devenu gérant en 2008 après plusieurs années auprès de son père, donne un coup de jeune, apporte son dynamisme, lance des travaux d’agrandissement et de rénovation… Désormais, la conception, la production, la communication et la commercialisation s’effectuent ici, à Saint-Léons, à 20 km de Millau et 45 de Rodez.
Père et fils sont fiers de rappeler que tous leurs produits sont de fabrication artisanale, 100% française et même régionale ! Accrochée au mur, une plaque l’atteste : « Membre du label d’état « Entreprise du Patrimoine Vivant » : l’excellence des savoir-faire français ». Leur attachement à préserver l’artisanat local est viscéral, ce que nous confirme Manuel : « Les moules sont conçus ici, les arçons sont fabriqués dans le Lot, le cuir vient à 80% de chez un tanneur de Rodez, les accessoires sont faits dans le Tarn… Même nos chaussettes sont faites dans la région ». Bref, chez les Mercier, ne cherchez pas de produits fabriqués à bas coût en Chine ou ailleurs ! « Nous, on n’est pas issus du sérail, on est des extra-terrestres et on propose un produit alternatif grâce à notre expérience de randonneurs, résume Gaston.
Etre sellier-cavalier, ça change tout !
Nous sommes des selliers-cavaliers, et pour moi ça change tout. Quand on fait un nouveau modèle, un prototype, on va directement l’essayer. Des selliers-cavaliers, il n’y en a pas beaucoup ». La plus grosse difficulté ? « Il faut toujours se renouveler. On se creuse la tête, d’ailleurs ça me réveille la nuit ! » avoue Gaston.
Manuel nous emmène ensuite visiter le sous-sol du bâtiment, où se trouve l’atelier. Les artisans selliers, trois hommes et trois femmes, sont au travail - chacun concentré sur sa spécialité. « On part de la peau brute, ensuite ce sera l’étape de la couture, puis l’assemblage des quartiers et des panneaux, enfin l’assemblage final sur arçon », explique Manuel. Dans l’atelier, on trouve aussi des selles d’occasion envoyées pour maintenance ou réparation. Les artisans ont tous été formés sur place : « Souvent ils viennent de l’univers du cuir, de la maroquinerie, et on les forme « maison » pour qu’ils puissent revenir sur le concept, explique Gaston. S’ils ont été formés selliers, eh bien… il faut les déformer !»
La sellerie Gaston Mercier vend environ 500 selles par an, dont 400 à 450 neuves fabriquées sur place. Avec une quinzaine de modèles, et un slogan qui veut tout dire : « La juste mesure ». De ce fait, 95% des selles Mercier sont faites sur commande (avec un délai, tout à fait raisonnable, de trois mois), puis envoyées à l’essai avec un système de caution.
Chaque selle est faite sur mesure en fonction des besoins et des attentes spécifiques du cavalier – parfois très spécifiques, comme ce fut le cas pour la selle conçue à l’intention d’Aurélie Brihmat, cette jeune cavalière handicapée, amputée d’une jambe, que nous vous avons déjà présentée dans un article sur le blog. « Nous sommes fiers d’équiper Aurélie pour Handidream, son tour de France à cheval qui commence le 30 mars, rappelle Gaston. Il a fallu s’adapter à son cas, par exemple Aurélie a des excroissances osseuses au niveau des ischions, et nous avons beaucoup travaillé à son confort par rapport à ça ».
Une clientèle de cavaliers de loisir
À l’image d’Aurélie, globalement, la clientèle de la sellerie Gaston Mercier est plutôt constituée de cavaliers de loisir : « On fait aussi des selles de compétition, mais clairement, le CSO n’est pas notre spécialité, explique Gaston. Le profil-type de nos clients, ce sont des cavaliers propriétaires qui font un peu de dressage chez eux en carrière et qui sortent beaucoup en balade ou en randonnée. Des cavaliers d’extérieur ou d’endurance avant tout, et pas forcément licenciés à la FFE ! »
Cette clientèle de cavaliers randonneurs a conduit les Mercier père et fils à se spécialiser dans la bagagerie : « Les selliers aujourd’hui ne s’embêtent plus à faire de la bagagerie ! Nous sommes les seuls à proposer une bagagerie assortie et adaptée, très réfléchie par rapport aux besoins –pratique, solide, avec une forme ergonomique… »
Sacoches testées en Namibie pour Cheval d'Aventure
Ça tombe bien : Christophe a besoin de tester des sacoches pratiques pour caser son appareil photo et autres objets en Namibie, fin mars. Avec Manuel, il discute selles, sacoches, trucs pratiques... La sellerie Gaston Mercier équipe parfois des cavaliers randonneurs au long cours, voire en autonomie, mais aujourd’hui c’est plus rare : « Nous concevons surtout une bagagerie pour le cavalier randonneur qui chevauche toute la journée, mais qui aura de l’intendance le soir. La demande la plus courante aujourd’hui ? 2 sacoches et 2 fontes, et ça suffit ».
Des astuces pour les cavaliers voyageurs
Les randonneurs fans de la marque le savent bien : le petit plus chez les Mercier, c’est le détail astucieux qui change tout ! Tout est pensé dans le moindre détail pour le confort du cheval et du cavalier en rando - comme, par exemple, ce lien qui va de la sacoche à la boucle de la sangle pour éviter que la sacoche bouge au galop. On sent que les concepteurs savent de quoi ils parlent ! « Il faut avoir beaucoup randonné pour savoir ce qui va, et ce qui ne va pas, résume Gaston. Ce petit truc, d’ailleurs, je l’ai pompé chez les Spahis ! »
Écuries et granges à foin
Manuel nous emmène ensuite visiter les bâtiments, certains en travaux – un futur « club-house » et salle de repas -, les écuries, les granges à foin… « C’aurait été dommage de ne pas utiliser tous ces bâtiments, observe-t-il. Mon père a acquis les bâtiments, moi j’ai acheté les terres, et j’ai un statut d’agriculteur. Je fais mon foin, mes céréales, et je suis passé en bio il y a trois ans ». Et de rajouter : « On aurait pu louer un grand hangar dans une zone industrielle, mais ç’aurait été moins rigolo ! »
À découvrir ainsi les coulisses de cette belle entreprise familiale, on se dit que finalement, être au fin fond de l’Aveyron n’est pas un écueil à la commercialisation… Au contraire ! La force de la sellerie Mercier est justement d’avoir réussi à faire de cet éloignement géographique, et de cet environnement naturel, un atout qui les démarque des autres selliers. « Nous avons un ou deux clients par semaine qui se déplacent jusqu’ici, explique Manuel. Nous sommes la seule sellerie à proposer sur place un centre d’essai, pour un test grandeur nature. C’est un univers à part, ça fait partie de la marque de fabrique. »
Piste de galop de 1300 m
Là encore, père et fils ont innové : ici, dans les monts du Lévézou, la sellerie offre 30 hectares de pré, une carrière, un rond de longe et même une piste de galop de 1300 mètres ! « Nous avons des boxes et un gîte, ainsi les cavaliers peuvent venir vraiment tester leur future selle avec leur propre cheval – et sinon, nous leur prêtons les nôtres ». Un concept unique et original, dans un lieu d’exception où l’on vit au rythme du cheval, témoin d’une passion familiale inébranlable.
32 ans d'exigence pour une sellerie mythique
Avec un pied à l’étrier de la modernité et un pied à celui de la tradition, la sellerie Gaston Mercier, qui a fêté ses 30 ans en 2017, a clairement réussi son entrée dans le XXIème siècle. D'ailleurs, nous nous sommes vite reconnus - tant la curiosité, l'amélioration continue, les chevaux et cultures cavalières, la quête permanente de nouveautés... font aussi partie de notre ADN !
Avant notre départ, Manuel, qui se dit « heureux et fier de perpétuer l’héritage paternel », nous présente son fils Léon, 4 mois. Et à voir le visage du bébé se fendre d’un large sourire quand son grand-père raconte une fois encore la fameuse histoire de la 13ème dorsale, on n’a plus aucun doute : la relève est assurée !
N. Pilley
Sellerie Gaston Mercier, Mas du Vinaigre, 12780 Saint-Léons. Tél : 05 65 47 60 98
Pour en savoir plus, découvrez le site de la sellerie Gaston Mercier
Prochainement sur le blog : notre avis sur divers produits Gaston Mercier (selle, bagagerie…) que nous allons tester pour vous, en situation réelle de randonnée, en France et à l’étranger.
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