Kheops, cheval aveugle sur le chemin de St-Jacques
Découvrez la belle histoire de Khops, un
cheval aveugle qui a parcouru 1000 km sur le chemin de St-Jacques de
Compostelle...
Cheval de bât durant 2 mois
Comme chez les humains, il y a des chevaux dont le
courage force le respect : Kheops a 18 ans, il est quasiment aveugle mais son courage, sa générosité et son dévouement sont sans limites.
Au point d’avoir
fièrement accompli sa mission de cheval de bât durant la randonnée que Sylvie
et Sophie, deux amies, ont effectuée sur le chemin de Saint-Jacques de
Compostelle. Presque deux mois durant, sur mille kilomètres, Kheops a tout donné… Chapeau bas !
Pèlerinage équestre et intérieur
« Allier sa
passion du cheval à son chemin spirituel, c’est extraordinaire. » Par ces simples mots, Sylvie Alfonsi
résume avec pudeur tout ce qu’a pu représenter pour elle l’accomplissement de
son rêve : emprunter à cheval le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.
Un pèlerinage à la fois équestre et intérieur, mais aussi une inoubliable
aventure entre copines, le tout grâce à trois chevaux - deux valides et un
handicapé !
Pour Sylvie, cavalière randonneuse de longue date,
tout commence en 2002 lorsqu’elle décide d’offrir un cheval à son mari pour ses
40 ans : « Philippe aimant les
chevaux américains, je lui ai acheté un Appaloosa, raconte-t-elle. Mais ce cheval avait été mal débourré et ne
lui correspondait pas. Nous avons donc envisagé un échange. »
Appaloosa à la robe léopard
Par hasard, grâce à une amie résidant en Ariège,
Sylvie entend parler d’un autre Appaloosa que son propriétaire serait disposé à
échanger : « Nous sommes partis
le rencontrer. A l’époque il avait 4 ans, c’était un joli petit cheval avec une
robe léopard - disparue aujourd’hui, car il a commencé à perdre ses taches vers
10 ans ! » Philippe essaye le cheval et le trouve à son goût.
Quinze jours plus tard, Kheops rejoint
son nouveau domicile à Digne, dans les Alpes de Haute-Provence, ainsi que
Bambin, le Lusitanien de Sylvie.
Ulcère à
l’œil et uvéite
Kheops entame alors
une belle existence de cheval de rando, au pré toute la journée avec son congénère
ibérique. Vers l’âge de 10 ans, les problèmes commencent : « Il avait les yeux qui gonflaient et qui
coulaient, se souvient Sylvie. Je lui
faisais des soins énergétiques en médecine chinoise et ça désenflait, alors je
me disais que ce n’était pas trop grave. Jusqu’à ce qu’apparaisse une grosse
tache blanche dans son œil gauche. »
Sylvie appelle le vétérinaire,
qui lance toute une série d’examens : « Cela a pris du temps, finalement on lui a diagnostiqué un ulcère à
l’œil, il avait 11 ans. A 12 ans, il a déclaré une uvéite qui lui faisait progressivement
perdre la vue. »
Ne pas abandonner Kheops au fond d’un pré
Pour calmer l’irritation et stopper l’aggravation de
l’uvéite, le traitement est lourd : une piqûre dans la cornée, deux fois
par an. « Petit à petit, j’ai réussi
à lui épargner les injections avec des méthodes plus douces, explique
Sylvie : applications de miel
mélangé à du sérum physiologique, huiles essentielles, soins énergétiques… Ca
le soulageait tout aussi bien, et il a pu continuer à randonner avec Philippe.»
Sylvie et son mari sentent qu’il ne faut surtout pas abandonner Kheops au fond du pré avec son handicap, mais au
contraire continuer à le sortir : « Il
adorait ça, c’était important pour lui psychologiquement. Simplement, il
fallait le guider et le prévenir à la voix dès qu’il y avait un obstacle sur le
chemin. Dès les beaux jours, il doit aussi porter un masque
toute la journée, sinon il est obligé de fermer les yeux. »
Le chemin de St-Jacques : un rêve de longue
date
En 2015, Sylvie décide de concrétiser son rêve de
toujours : chevaucher en direction de Saint-Jacques de Compostelle. Elle
obtient un congé de deux mois et propose à son amie Sophie Ducca de
l’accompagner pour une « rando de filles » : « Sophie est monitrice et ATE. Elle pouvait
donc apporter toutes ses compétences techniques, c’est une randonneuse au long
cours qui avait déjà à son actif son tour de France à cheval, seule avec deux
chevaux dont Bouboule, « l’auteur » de son livre [cf. en bas de l'article].
Il nous fallait un cheval
de bât et je me suis dit « pourquoi pas Kheops ? » Mais je ne
voulais pas mettre en danger un cheval malvoyant, d’autant que depuis deux ans
environ, son deuxième œil est également touché. J’ai demandé son avis à Sophie,
qui m’a encouragée à le faire. » Kheops n’ayant jamais été bâté, Sylvie l’entraîne à
sa nouvelle mission avant le départ : « Je lui ai mis une selle Mac Lellan avec des sacoches et du poids, et je
l’ai initié en longe. Il a tout de suite compris. »
40 à 45 kilos maximum
Le 1er mai 2015, les deux amies partent de Saint-Gilles,
en Camargue - Sylvie montée sur Idaho, son Appaloosa de 8 ans (Bambin, 27 ans,
est aujourd’hui à la retraite) et Sophie sur Suria, sa jument Anglo-Arabe. Kheops
transporte le nécessaire pour les
chevaux : la pharmacie, la maréchalerie, le parc, le grain… Plus la
réserve d’eau pour 24 heures et les duvets, soit 40 à 45 kilos maximum. Les filles,
elles, portent leurs effets personnels sur leur propre cheval,
Établir un code vocal
Au début, les cavalières laissent Kheops en liberté – comme l’avait fait Sophie avec
Bouboule – mais très vite, se rendent compte que ce ne sera pas possible :
« Kheops est un cheval très indépendant, malgré son
handicap il voulait tout le temps passer devant ! raconte Sylvie. Au bout de 4 ou 5 jours, il y a eu un
passage difficile sur un chemin creusé de profondes ornières.
Nous avons mis
pied à terre et je n’ai pas eu le temps d’anticiper, nos deux chevaux ont sauté
mais Kheops s’est retrouvé coincé. Là,
nous avons compris qu’il ne fallait pas le lâcher, mais le guider et le prévenir
des dangers. » Sylvie et Sophie établissent alors un code vocal : « Nous lui disions « Attention Kheops
» dès qu’il y avait un obstacle. Au fur et à mesure, dès que les mots
étaient prononcés, il baissait la tête pour voir le danger, se concentrait et
enjambait mieux. »
Jamais attachés la nuit
Désormais, Sylvie et Sophie se partagent la responsabilité
de mener Kheops en longe. Le soir, les
trois chevaux sont lâchés dans un paddock improvisé : « Nous leur faisions un parc provisoire. En deux mois, ils n’ont
jamais été attachés la nuit », se réjouit Sylvie. Après cinq semaines de voyage, les deux copines font
une halte de trois jours à Carcassonne car Kheops a une blessure au garrot que Sylvie soigne
avec une pommade originaire des Etats-Unis. « Mais ça ne suffisait pas. Quelqu’un nous a prêté une selle avec une
ouverture de garrot plus importante et grâce à ça, nous avons pu repartir pour
encore trois semaines. Sinon, nous aurions arrêté. »Pour Sylvie et Sophie, le bien-être de Kheops est prioritaire. C’est pour cette même raison
qu’elles décideront finalement de s’arrêter aux portes du Pays Basque :
« Nous avons jugé que Kheops était un peu fatigué et qu’il perdait de
l’état. Alors, le 22 juin, nous avons mis fin à votre voyage et les chevaux ont
été ramenés en camion à la maison. »
Le cheval,
très bon ambassadeur
D’une telle aventure, les deux cavalières ne sont pas
revenues indemnes : « C’est
inoubliable ce que nous avons vécu au niveau humain - les rencontres que nous avons faites,
l’accueil que nous avons reçu, la gentillesse des gens dans la France rurale…, confie
Sylvie. C’est clair que le cheval est un
bon ambassadeur, il ouvre des portes. » Et plus encore Kheops, le
petit cheval aveugle : « En
découvrant qu’il était handicapé, les gens étaient épatés ! Et il y a de
quoi ! »
Une leçon de vie
Lorsqu’elle évoque son admiration et sa gratitude pour
Kheops, Sylvie a la voix qui flanche : « Kheops nous a donné une vraie
leçon de vie. C’est inouï tout ce qu’il a effectué en dépit de son handicap, et
la façon dont il s’est adapté. Il a montré un courage et une générosité sans
aucune limite. Très souvent, c’est grâce à lui que nous avons pu nous sortir de
la galère. Il adore l’eau, quand il fallait franchir une rivière difficile, alors
que nos deux chevaux rechignaient, c’est lui qui montrait l’exemple ! Une
autre fois, nous avons dû traverser un tunnel très étroit sur une ancienne voie
ferrée désaffectée.
Idaho et Suria ont refusé de rentrer, et c’est Kheops qui les a guidés. Un kilomètre dans le noir
total, car nous étions en panne de piles sur nos lampes frontales ! Du
fait qu’il est privé de la vue, Kheops a
développé ses autres sens : l’ouïe, l’odorat… Le comble, c’est que
plusieurs fois c’est le cheval handicapé de 17 ans qui a surpassé les
jeunes chevaux en pleine santé de 8 ans ! »
De cheval de bât à cheval de selle
Aujourd’hui, le cheval de bât du chemin de
Saint-Jacques est redevenu cheval de selle. Après trois mois de repos complet, Kheops
a repris les balades tranquilles sous le
ciel lumineux de Haute-Provence. Il est toujours officiellement « le
cheval de Philippe », mais Sylvie ne cache pas que ce voyage l’a rapprochée
de Kheops : « Tous ces moments
passés ensemble 24 heures sur 24 ont renforcé les liens entre nous. Il y a
vraiment quelque chose de très fort qui s’est créé. » Tout cela grâce
à un heureux hasard, quatorze années auparavant…
Kheops vu par l’ATE Sophie Ducca
Il y a 15 ans, Sophie Ducca effectuait durant six mois
son tour de France en autonomie. Le récit de son périple, c’est Bouboule, son
cheval de bât, qui le raconte à la première personne dans un livre tendre et magnifique
paru en 2014 . De son voyage avec Kheops, Sophie garde un souvenir
tout aussi ému que son amie : « Quand
Sylvie m’a proposé de l’accompagner sur la partie française du chemin de
Saint-Jacques, ça m’a donné l’impulsion pour repartir. Je trouvais que Kheops avait le bon gabarit pour être bâté.
En
revanche, j’avais un peu sous-estimé son handicap ! Monté, il est aidé par
son cavalier ; bâté, c’est autre chose… Je le prenais en longe pour les
passages difficiles car Kheops s’est
littéralement amouraché de ma jument. Avec elle, il était vraiment en
confiance. Quant à moi, je l’ai très vite adoré, ce petit cheval… Malgré son
physique rustique il est très délicat, très féminin, « yin », comme on dit en shiatsu !
Un cheval
très « yin »
C’est un
cheval particulièrement à l’écoute, réceptif et perceptif. Une grande
connivence s’est établie entre nous cinq, en partie grâce à sa générosité. Kheops
est une belle leçon pour moi : j’ai
appris à m’adapter à un cheval différent, à le guider comme on guiderait une
personne aveugle. Il utilise ses vibrisses et il a toujours besoin de s’appuyer
soit sur un autre cheval, soit sur notre bras. C’est un contact très
délicat… »
Photos © Sophie Ducca
Découvrez le beau récit de voyage équestre de Sophie Ducca : Tête de mule
– Le tour de France d’un cheval de bât, éditions « Les cavaliers de l’orage »
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