La Roumanie sous les sabots

La Roumanie sous les sabots

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Pendant quatre ans, Léna Belloy a traversé l’Europe de l’Est en roulotte. Elle s’était juré de revenir en Roumanie, mais cette fois pour un voyage à cheval de plusieurs mois. Pari tenu pour la roulottière-cavalière qui ne renonce jamais à ses rêves… 



Après les guides, les rênes ! 


Vous avez été nombreux à savourer le récit de l’étonnant périple de Léna Belloy qui, à seulement 24 ans, n’avait pas hésité à réaliser son rêve : parcourir 6500 km et traverser 11 pays en roulotte, au doux son des sabots de Happy et Comète, ses compagnons de route.  C’est à « Cheval Passion », le salon du cheval d’Avignon, que nous avons eu le plaisir de retrouver Léna - son visage délicat comme un Botticelli, ses dreadlocks qui lui tombent jusqu’aux fesses, ses yeux d’un bleu si intense qu’ils semblent scruter le fond de votre âme… C’était en janvier 2018, et la voyageuse au grand cœur était encore émerveillée par sa chevauchée de l’été précédent, dans l’un des pays qui l’avaient le plus touchée lors de son voyage attelé : la Roumanie. La tête dans les étoiles et les pieds sur terre, Léna nous a expliqué pourquoi elle a choisi de troquer ses guides de meneuse contre des rênes de cavalière : 

Léna heureuse de découvrir la Roumanie du haut d'un cheval @Blog Cheval d’Aventure
Léna heureuse de découvrir la Roumanie du haut d'un cheval @Blog Cheval d’Aventure

Parmi les 11 pays que tu as traversés en roulotte, pourquoi avoir choisi de revenir en Roumanie ?

Parce que la Roumanie est, avec la Pologne, le pays où j’avais trouvé que les gens étaient le plus accueillants. Et aussi parce qu’en Roumanie il y a des chevaux partout ! Alors je me disais que ce serait facile de trouver sur place de bons chevaux de randonnée.  

Les Roumains sont un vrai peuple cavalier @Blog Cheval d’Aventure
Les Roumains sont un vrai peuple cavalier @Blog Cheval d’Aventure

Et cela a été le cas ?

Pas du tout ! Avec Roanka, mon compagnon avec lequel je suis partie, nous avons passé tout le mois de juin à chercher les chevaux. On a été très surpris parce que justement, on pensait que ce ne serait pas difficile avec un peuple cavalier comme les Roumains… Mais en fait, les bons chevaux, ils les gardent pour eux, et on ne nous proposait que des chevaux à problèmes ! Soit maigres, soit blessés, soit emphysémateux… Quant aux marchés aux chevaux, il y en a beaucoup en Roumanie, mais c’est vraiment du business et ça ne nous inspirait pas confiance.

Léna avait été
Roanka en haut d'un col. Léna avait été "frustrée de montagne" lors de son voyage en roulotte @Blog Cheval d’Aventure

Savais-tu d’emblée quelle région de la Roumanie tu voulais explorer ?

Oui, parce que durant mon premier voyage j’avais rencontré à Fagaras, au centre du pays, un paysan qui vivait enclavé dans la montagne et qui est devenu un ami. Et c’était frustrant d’y être en roulotte, parce que les montagnes tout autour donnaient vraiment envie de découvrir davantage le pays !  


Depuis la France, as-tu préparé à l’avance ton itinéraire ?

Non. On avait seulement l’idée de monter dans le nord, vers la belle région du Maramures. On l’a choisie en fonction du dénivelé : on voulait aller en montagne, mais pas trop haut non plus parce qu’il fallait trouver de la nourriture pour les chevaux, et on ne voulait pas non plus risquer de se retrouver bloqués. Notre voyage s’est déroulé entre 600, 700 m d’altitude jusqu’à 2000 pour le passage d’un col, mais en moyenne c’était environ 1000 m.  

Les selles de rando d'occasion ont été achetées en France @Blog Cheval d’Aventure
Les selles de rando d'occasion ont été achetées en France @Blog Cheval d’Aventure

En revanche, avant de partir, tu as préparé ton propre matériel ?

On a acheté deux selles de rando d’occasion, une Guichard et une JMS, et des sacoches en toile. Comme j’ai une formation de sellier-harnacheur, j’ai fabriqué toutes les sacoches et les fontes en cuir, ainsi que deux colliers de chasse et deux croupières. J’ai aussi fabriqué le bât, à partir d’un arçon en ralide (un composite hyper solide) de chez Guichard : les caisses de bât, le sanglage, la bricole, les matelassures sous l’arçon, l’avaloir (qui est l’équivalent de la croupière pour les chevaux de bât)... Et j’ai aussi fabriqué les tapis de selle, avec du tissu, de la mousse de camping et  du « Vet Bed » pour chiens. Les livres d’Emile Brager m’ont beaucoup servi pour ça ! En tout, il y a eu deux mois de préparation. 

Et combien de mois de voyage à cheval ?

On a mis plus de temps que prévu pour trouver les chevaux, tout le mois de juin, et ensuite on a voyagé trois mois, de juillet à septembre.

Un cheval qui rentre chez vous ? Vous êtes en Roumanie ! Les chevaux font partie de la vie rurale en Roumanie @Blog Cheval d’Aventure
Un cheval qui rentre chez vous ? Vous êtes en Roumanie ! Les chevaux font partie de la vie rurale en Roumanie @Blog Cheval d’Aventure

Finalement, quels chevaux avez-vous choisis ?

On a d’abord acheté Minouche, une magnifique jument baie de 7 ans. Elle avait été attelée une semaine seulement, en se faisant taper dessus… Et elle n’avait jamais été débourrée à la selle, ni au bât. Il a fallu l’entraîner à porter des pneus. Mais elle « respectait » tellement l’homme, vu qu’elle avait été battue, qu’elle n’osait pas n'osait pas bouger une oreille, elle avait un comportement exemplaire ! Ensuite on a acheté Lili, une petite jument noire de 8 ans. En fait, ça s’est fait en deux temps parce que le jour où on est allés la voir, le propriétaire qui était un Tzigane a discuté avec nous devant ses 9 enfants. Et au final il a refusé de nous la vendre parce que ses enfants pleuraient de voir partir la jument ! On était super déçus.

Trouver les trois chevaux a pris un mois entier ! @Blog Cheval d’Aventure
Trouver les trois chevaux a pris un mois entier ! @Blog Cheval d’Aventure
On a ensuite trouvé la troisième jument, et puis au bout d’une quinzaine de jours le Tzigane nous a rappelés en nous disant que son toit avait des fuites, qu’il avait besoin d’argent… et il nous l’a ramenée en chariot. Entretemps on avait acheté La Jaune, une jument demi-trait de 12 ou 13 ans, très gentille et tranquille. Elle était trop maigre, alors un homme qui avait paraît-il un diplôme de vétérinaire est venu l’endormir, lui a râpé les dents et après, c’est vrai qu’elle a repris du poids.

Pourquoi avoir choisi uniquement des juments ?

Ce n’était pas un choix. On nous a proposé de tout : des étalons, que les vendeurs étaient prêts à castrer direct pour nous, des juments pleines ou suitées d’un poulain tout petit, en nous disant « ne vous inquiétez pas pour le poulain, on lui donnera le biberon ! » On a pris ce qu’on a trouvé de mieux… ou de moins pire. La plupart des chevaux avaient des blessures d’entraves, c’est très courant là-bas, alors nos juments étaient au-dessus du lot. On les a achetées 700 € chacune, sachant qu’en Roumanie le salaire moyen est de 300 € par mois.  Elles se sont bien entendues ?Minouche était clairement la chef, elle voulait toujours montrer que c’était elle qui commandait. Du coup, c’est elle qu’on attachait le soir à la longue corde. Autour d’elle il y avait La Jaune, la « mamie » tranquille qu’on laissait en liberté, et Lili pour laquelle j’avais fabriqué des entraves en cuir. Bon, Lili arrivait à galoper avec ses entraves et venait embêter La Jaune ! Mais au bout d’un moment elle se fatiguait et la laissait tranquille. 

Léna était en charge du GPS, bien pratique en forêt ! @Blog Cheval d’Aventure
Léna était en charge du GPS, bien pratique en forêt ! @Blog Cheval d’Aventure

Comment vous êtes-vous réparti les chevaux ?

Roanka montait La Jaune et tenait Minouche, la jument de bât, et moi je montais Lili et je gérais le GPS. En fait j’avais un téléphone portable avec l’appli ViewRanger, très pratique car on peut télécharger des cartes avec des courbes de niveaux. Avec le GPS intégré je pouvais accéder à l’appli sans connexion internet. En Roumanie on peut facilement se perdre à cheval en forêt, et même si tu perds le sentier tu te vois au niveau du point rouge, cela permet de te repérer !  

Avez-vous été contents des juments ?

Elles étaient très gentilles. On a eu une bonne relation, le soir à l’étape elles venaient tout le temps près de nous… Mais nos juments Lili et Minouche avaient un gros défaut : elles avaient peur des véhicules, des camions et des tracteurs. On pensait que ça leur passerait, mais absolument pas, ça a duré tout du long et c’était assez dangereux. Seule La Jaune n’avait pas peur. Les deux autres faisaient de violents écarts, il y a eu de vraies scènes de panique. Je dois reconnaître que ça a parfois gâché les choses et que ça nous tapait sur les nerfs. On a même arrêté notre voyage plus tôt que prévu à cause de ça. C’est dommage, parce qu’à part ce gros problème, c’était des super juments, très attachantes !  

Des juments gentilles et proches de l'homme @Blog Cheval d’Aventure
Des juments gentilles et proches de l'homme @Blog Cheval d’Aventure

Comment les avez-vous nourries ?

A l’herbe uniquement, par exemple dans les grandes prairies communales comme il y a souvent en Roumanie. Ou dans des prairies sauvages, mais il faut savoir qu’en zone montagneuse les gens ont réellement besoin de l’herbe pour leurs bêtes, alors ils ne sont pas spécialement généreux. Sur ce plan, on a rencontré plus de difficultés que lorsque j’étais en roulotte.

Les Roumains utilisent encore beaucoup les chevaux pour le transport de marchandises @Blog Cheval d’Aventure
Les Roumains utilisent encore beaucoup les chevaux pour le transport de marchandises @Blog Cheval d’Aventure

Comment se passait l’arrivée à l’étape ?

La priorité, c’était de décharger les chevaux et de les lâcher. Ensuite, faire sécher les tapis. Puis monter la tente,  une Coleman trois places, avec un grand auvent, bien pratique pour abriter tout le matériel : bât, caisses de bât, sacoches… Et aussi pour cuisiner dessous en cas de pluie ! On nous avait donné un petit réchaud multi-combustible, qui fonctionne avec de l’essence, du diesel, du kérosène, de l’alcool à brûler… mais en fait on cuisinait surtout au feu de bois. Pour dormir, on utilisait les tapis des chevaux (plus une couverture militaire qui, pliée en quatre, servait de tapis de selle dans la journée) et par-dessus on mettait nos deux sacs de couchage.  

Combien de kilomètres par jour parcouriez-vous ?

Le premier mois, j’ai tout calculé : on a fait 410 km. Mais après j’ai arrêté de compter ! On faisait une vingtaine de kilomètres par jour, jusqu’à 40 maxi. 

Léna et Roanka parcouraient entre 20 et 40 km par jour @Blog Cheval d’Aventure
Léna et Roanka parcouraient entre 20 et 40 km par jour @Blog Cheval d’Aventure

Comment communiquiez-vous avec les habitants ?

Durant mon voyage en roulotte, j’avais appris le roumain. Et les plus jeunes parlent bien anglais, et les langues étrangères d’une façon générale.  

Avez-vous croisé des ours?

On a vu un ours brun aux jumelles. Et une autre fois, on s’est perdus, on s’est retrouvés dans une sorte de souricière où il y avait des traces d’ours et là franchement je n’étais pas rassurée ! On chantait, on criait, on secouait nos grelots… Les ours en Roumanie, on n’a pas spécialement envie de les rencontrer, ça peut être dangereux.  

A quoi ressemble cette Roumanie des montagnes dont tu rêvais, et dont tu étais frustrée en roulotte ?

Les paysages sont vraiment magnifiques, c’est très sauvage. Ce sont de vastes espaces, des forêts vierges, des pâturages à perte de vue… On croise parfois des bergers, mais la Roumanie est un pays qui se dépeuple, les gens partent beaucoup travailler ailleurs – en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne… Partout ! C’est rare de rencontrer un Roumain qui n’est pas allé travailler dans un autre pays.

Les paysages sont sauvages et grandioses @Blog Cheval d'Aventure
Les paysages sont sauvages et grandioses @Blog Cheval d'Aventure

Au niveau de l’accueil des habitants, as-tu retrouvé la même chaleur que lors de ton voyage en roulotte ?

Pour être franche, c’était moins fort au niveau des rencontres et de l’accueil - peut-être parce que c’était en montagne. Je pense que c’est parce que les Roumains adorent l’attelage et les chevaux de trait. Arriver à cheval, là-bas, c’est très différent qu’arriver en roulotte.

Au terme de votre voyage, qu’avez-vous fait des juments ?

On les a vendues, 500 € chacune, en essayant de bien les placer. La Jaune, on l’a vendue au propriétaire d’un petit centre équestre super, on était ravis. Lili et Minouche, on les a vendues à un ami de ce propriétaire, par contre lui les a revendues dix jours après !

Savoir qu'on devra quitter les chevaux à la fin du voyage n'empêche pas de s'y attacher @Blog Cheval d’Aventure
Savoir qu'on devra quitter les chevaux à la fin du voyage n'empêche pas de s'y attacher @Blog Cheval d’Aventure

Heureusement, on a retrouvé la trace de Lili, qui est désormais dans une gentille famille avec des enfants, et qui est très heureuse parce qu’il n’y a pas de voitures ! Par contre, on ne sait pas ce qu’est devenue Minouche. Et une jument qui a été battue, il faut vraiment qu’elle ait de la chance… En Roumanie les animaux sont traités durement, que ce soit les chevaux, les chiens…  

Maintenant que tu as fait les deux – en roulotte, et à cheval – peux-tu nous dire ton ressenti par rapport à chaque façon de voyager ?

A cheval, c’est un peu plus l’aventure. Tu te sens plus aventurier, il faut couper des branches, traverser des rivières, ça fait plus « jungle » ! En roulotte, il y a plus de confort, et le regard des habitants sur toi est plus admiratif. Ils manifestent clairement plus d’intérêt. Ce que j’ai aimé à cheval, c’est qu’on voit vraiment de super endroits ! Et beaucoup d’animaux  - des cerfs, des renards, des chevreuils, des sangliers… Et les bergers te racontent tous les jours des histoires d’ours et de loups !

Bivouac équestre @Blog Cheval d'Aventure
D’ailleurs, un jour on a perdu les juments : elles s’étaient échappées et on les a suivies à la trace un bout de temps. On les a retrouvées 5 km plus loin dans une ferme, où un poulain venait de se faire agresser par un ours, il avait été gravement blessé. Le fermier avait littéralement transformé l’écurie en prison, il avait soudé des barreaux pour la nuit tellement il avait peur. En Roumanie, on ne plaisante pas avec les prédateurs !     




Pour en savoir plus sur Léna Belloy : son blog Roulez Juments ! 
Ses livres sont disponibles sur ses sites .

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