Itinéraire d’un âne bâté
32 mois de voyage à pied ! Depuis
bientôt trois ans, Stéphane et son âne Marius marchent sur les chemins de
France au profit de l’association « Solidarité Elisa ».
Le tour de France avec son âne
Marius
et Stéphane, c'est une magnifique histoire d’amour et de renaissance sur fond
de générosité.
Voilà bientôt trois ans que ces deux inséparables compères,
l’un bipède, l’autre quadrupède, cheminent ensemble sur les routes et sentiers
de France. En 2015, Stéphane Blaise, journaliste, décidait de « tout quitter, tout
vendre » pour vivre cette grande aventure de l’itinérance avec Marius,
aujourd’hui âgé de 15 ans.
Bien sûr, on ne se lance pas du jour au
lendemain dans un tour de France avec un âne : avant de sauter le pas,
Stéphane avait déjà choisi de consacrer l’intégralité de son
temps libre au voyage à pied avec Marius. De 2007 à 2015, il avait passé
toutes ses vacances aux côtés de son compagnon à grandes oreilles, récoltant au
passage des fonds pour « Solidarité Elisa ».
Cette formidable association,
parrainée par Jean-François Pignon et constituée exclusivement de bénévoles, a
été créée en 2007 pour venir en aide à une petite fille atteinte d’une
tumeur cancéreuse. Aujourd'hui, Elisa est guérie. Mais chaque jour, d’autres
enfants malades ont besoin d’un soutien financier urgent et « Solidarité
Elisa » continue d’exister pour eux.
Cette
semaine, sur le blog, nous vous racontons donc cette première phase de la vie de
Stéphane et Marius. Elle a été déterminante pour oser se lancer dans la
deuxième – le tour de France, qui fera l’objet du prochain article. Car à
l’heure où nous écrivons ces lignes, Stéphane et son âne sont toujours sur les
routes !
Un ânon d'origine inconnue
Tout
commence en 2003 lorsqu’un ami de Stéphane, habitant en Ardèche et possédant
plusieurs ânes dont deux ânesses pleines, subit une dure épreuve :
inexplicablement, sa première ânesse à mettre bas s’acharne sur son petit après
la naissance et le tue. « Ecœuré,
mon ami a décidé de se séparer de ses animaux, raconte Stéphane. J’avais du terrain et quelques chèvres, alors
je me suis dit : Pourquoi pas un âne ? Je lui ai donc réservé le second ânon à naître, que je
voulais acheter. »
La seconde mise bas se déroule sans problème et dix
mois plus tard, l’ami de Stéphane arrive avec un cadeau inestimable :
Marius ! « A l’époque, je
n’étais pas plus randonneur que Marius, mais je pensais que ce serait sympa de
me balader à pied avec un âne. Je lui ai donc appris la marche à mes côtés, la
longe, le licol, la couverture, etc. Mais j’étais totalement novice et
j’ai tout de suite été confronté à l’âne têtu auquel vous ne pouvez rien
imposer ! »
Comment ça s'éduque, un âne ?
Pour combler ses lacunes, Stéphane se rend chez un
professionnel qui organise des promenades avec des ânes, bénéficie de ses
conseils et lit beaucoup de livres. « Mon
but était d’apprendre à éduquer un âne, surtout que le mien avait beaucoup de
caractère. C’était un dominant, habitué à vivre seul avec des chèvres, et j’ai
passé beaucoup de temps sur l’éducation, que ce soit en main ou en liberté. »
Les deux années suivantes, Stéphane connaît une
période difficile : une opération, une séparation… Il envisage de partir
marcher quinze jours avec Marius, « mais
j’étais mal préparé, je suis parti dans de mauvaises conditions et je suis
rentré au bout de vingt-quatre heures. »
Une question de survie
En 2007, Stéphane s’enfonce
plus encore dans une dépression et ressent, comme une chance ultime, le besoin
de retenter l’expérience : «C’était une
question de survie. En mai j’ai fait un « galop d’essai » de cinq
jours avec Marius qui s’est bien passé, et en août de la même année nous sommes
partis pour trois semaines. J’étais en très mauvais état psychologique, par
contre j’étais mieux préparé et j’avais bien calé mon tracé. »
Une relation
fusionnelle
Marius et Stéphane entament alors un périple de près
d’un mois dans les montagnes de la Drôme : les Baronnies, le Diois,
jusqu’à la frontière des Hautes-Alpes. « A mon retour, j’étais transformé, les gens ne m’ont pas reconnu, confie
Stéphane avec une émotion encore intacte. Tout
ce que le chemin m’a apporté, ce qui m’est arrivé, les rencontres que j’ai
faites, c’était énorme… Et c’est grâce à Marius.»
Durant ce voyage, la
relation entre Stéphane et son âne a pris une tout autre dimension :
« J’étais déjà proche de Marius,
mais c’était notre première grande randonnée et sur le chemin, notre complicité
s’est incroyablement développée. Les gens n’en revenaient pas de nous voir
ensemble, nous avons une relation fusionnelle. »
Ensemble 24 heures sur 24
Rien de tel que vivre
ensemble 24 heures sur 24 pour apprendre à se connaître ! Ces deux-là se comprennent d’un regard ou
d’un mouvement du corps, sans besoin de mots. « Enfin, moi, je lui parle beaucoup, mais lui s’exprime tout aussi
clairement, à sa façon ! Par exemple, si nous sommes près d’un cours
d’eau auquel Marius n’a pas accès, il se tourne et regarde l’eau avec
insistance pour me faire comprendre qu’il a soif. Ou si je bois à la gourde, il
donne un coup de museau dedans. Si je parle trop longtemps avec des gens
rencontrés sur le chemin et qu’il en a marre, il me pousse comme pour me dire « allez,
on y va oui ou non ? »… Plein
de petites choses comme ça. »
Fort de ce premier voyage, littéralement « reconstruit »
par le chemin, Stéphane comprend qu’il a trouvé sa voie. De 2007 à 2015, chaque
été, il y consacre la totalité de ses congés. Pour son bonheur retrouvé, mais
aussi pour celui de Marius : « Il
adore ça… Dès qu’il me voit sortir le bât et les sacoches, il s’excite le long
de la clôture ! »
Un bât que Stéphane ne charge pas beaucoup afin
de préserver le dos de son compagnon : « Je lui mets 40 à 45 kilos maximum. Marius transporte ma
nourriture, ma tente, mon duvet, les gamelles, de l’eau et une trousse de soins
vétérinaires. Quant à moi, j’ai un sac à dos de 12 kilos pour mes vêtements, mes
livres, mon appareil photo, etc. Bien sûr, je pourrais lui rajouter des affaires
mais c’est exprès, pour avoir conscience du poids et de la difficulté. Je ne
veux pas qu’il soit le seul à porter, j’ai mon bât aussi.»
Ne pas
mettre Marius en danger
A tout instant, Marius est prioritaire dans l’esprit
de Stéphane : « Ma crainte,
c’est de le mettre en danger… Parfois, quand c’est difficile, je m’excuse en
lui disant « Marius, je suis désolé de te mettre dans cette
galère ! » En 8 ans, j’ai
eu très peur pour lui deux fois : en 2007, il n’avait pas encore le pied
sûr comme aujourd’hui et il a glissé dans un ravin. Je me suis précipité pour
lui enlever le bât et vider le poids de la sacoche du côté du vide… Et en 2008,
je me suis trompé de chemin et il a eu un coup de fatigue, il a failli tomber.
A part ces deux épisodes, aucun accident grave n’est arrivé. J’ai juste été
très embêté par les tiques, l’été dernier.»
Sur le chemin, Marius et Stéphane parcourent chaque
jour 20 à 25 km, « mais c’est une
moyenne : nous pouvons n’en faire que 5 ou 6 s’il y a beaucoup de dénivelé, comme dans le
massif des Ecrins, et une autre fois nous avons fait 42 km d’une traite. »
A midi, pour la pause-déjeuner, Stéphane ôte tout le chargement afin de reposer
Marius, « et s’il est vraiment
fatigué, j’enlève le bât. »
A l'étape, la priorité c'est Marius
Le soir, là encore, la priorité c’est
Marius : « J’ai un contrat avec
lui : il porte ma nourriture, et moi je m’engage à lui trouver un bon
emplacement pour la nuit, avec de la belle herbe. Quitte à marcher jusqu’à 23
heures à la lampe-torche ! » Une fois arrivés à destination, les
deux compères connaissent le rituel : « Mon premier geste, c’est de le débâter. Il va brouter 10 ou 15 minutes,
puis il se couche. »
Leur préférence : le bivouac
Parfois, Marius et Stéphane sont invités à dormir chez
des gens qui ont un pré, voire un gîte équestre – et l’âne a droit à du foin ou
des grains. Mais le plus souvent, ils bivouaquent, Marius étant attaché à un
arbre avec une longe de huit mètres qui lui laisse une grande liberté de
mouvement pour pâturer. « Que je dorme
à la belle étoile ou sous la tente, Marius se couche tout près de moi, comme un
chien qui me garderait, confie Stéphane. « La nuit, je ne suis pas rassuré, j’ai toujours peur d’une prise de
longe ou du passage d’un gros gibier. Je me réveille sans arrêt pour écouter,
je sors la tête pour voir s’il va bien, bref je dors très mal ! »
De toute évidence, chacun se sent responsable de l’autre et
leur affection très démonstrative en témoigne : « Marius est très tendre avec moi, il met sa tête dans mon cou, se
fait câliner… Mais il me fait aussi des coups en douce, comme piquer le pain
dans mon sac ou continuer le chemin tout seul si je m’arrête trop longtemps à
son goût ! » Il faut dire que Marius marche toujours en liberté,
Stéphane ne lui mettant la longe « que
si c’est dangereux, pour traverser une route par exemple. » Souvent, l’âne
gourmand s’arrête pour brouter et fait la sourde oreille lorsque son maître l’appelle.
« Je fais alors mine de partir et quand il ne me voit plus, il
rapplique à toute vitesse. C’est comme un jeu avec un enfant ! »
Aider les
autres grâce à Marius
Au fil des kilomètres parcourus, Stéphane a récolté des
dizaines de milliers d’euros pour l’association Solidarité Elisa. « Je suis bien conscient que tout ça, c’est
grâce à Marius, insiste-t-il. C’est
lui m’a donné envie d’aider les autres et de récolter des dons en voyageant. Quand
les gens me voient marcher avec un âne, ils ouvrent grand les yeux et viennent
nous voir. Ce n’est pas du tout pareil que si j’étais sur le dos d’un cheval !
Un âne, ça leur rappelle tellement de
choses, cela leur évoque un souvenir d’enfance, un grand-père ou une
grand-mère… Et puis Marius n’est pas très grand, donc il regarde les gens à
hauteur d’homme.» A chaque rencontre, Stéphane prend le temps de discuter
avec les gens, explique le noble but de « Solidarité Elisa », distribue
les prospectus… « Parfois je récolte de l’argent tout de
suite, les gens me donnent des espèces ou un chèque. Certains reconnaissent
Marius, me disent qu’ils suivent notre périple sur mon blog ou sur
facebook ! »
Rencontre avec des chevaux
Il arrive aussi que Marius et Stéphane croisent des
randonneurs à cheval, « mais la
plupart des chevaux ont peur des ânes et les rencontres donnent parfois lieu à
de vraies paniques ! ». Souvent,
d’autres ânes braient en les entendant arriver, mais Marius ne leur répond pas :
« Si nous passons devant eux dans un
pré, il les sent mais ne s’y intéresse pas plus que ça. En fait, il est un brin
solitaire et surtout attaché à moi. »
Lorsque Stéphane part en voyage avec Marius,
il devient plus que jamais son référent, son repère, et leur relation
change : «Marius est plus attentif, plus
vigilant à mon égard. Il me cherche constamment des yeux, braie si je
m’éloigne… Et il me fait confiance, même si ce que je lui demande lui inspire
de la peur. Le pire, pour lui, c’est de traverser une rivière avec beaucoup de
courant, ou lorsqu’il faut sauter dans l’eau. »
Dans les yeux de Stéphane brille une petite flamme de gratitude
envers cet animal qui lui a redonné l’envie de vivre : « Marius, pour moi, c’est bien plus qu’un âne.
C’est un compagnon de voyage, un ami… Je le respecte profondément. Je le prends
aussi un peu comme un enfant. »
Une sorte de « grand frère »
aux longues oreilles, donc, pour Malone, le fils de Stéphane qui,
régulièrement, rejoint son père sur les chemins…
Prochainement sur le blog, deuxième partie : le tour de France de Marius et Stéphane !
Stéphane est heureux de partager sa belle aventure
itinérante : découvrez son carnet de voyage sur sur sa page Facebook Itinéraire d’un âne bâté
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