
Un Tour de France en attelage et en solitaire
Depuis 15 ans, Fanny Châtel sillonne toute
la moitié nord de la France pour défricher les chemins praticables en attelage.
Seule au
bout des guides

« J’ai toujours été une mordue
de l’aventure. Avant, c’était à cheval, et maintenant que j’ai pris de l’âge,
c’est en attelage ! »
D’emblée,
Fanny Châtel donne le ton : celui d’une femme bien de chez nous, proche de
la terre, qui affiche avec une joie de vivre contagieuse ses 64 printemps et un
tempérament bien trempé. Du
tempérament, il en faut pour oser partir ainsi à l’aventure, toute seule, sur
les routes de France ! Chacun sait que l’attelage est une discipline difficile,
exigeante et bien plus dangereuse que l’équitation : « Aujourd’hui encore, on me dit que je suis
toquée, et qu’il ne faut jamais partir seul en attelage… Mais que voulez-vous,
j’adore ça ! » rétorque Fanny dans un éclat de rire.

Il faut dire
que les chevaux, Fanny Châtel les a dans la peau depuis toute petite. Tout
commence quand la fillette de 10 ans découvre l’équitation en club, à Toulon : « J’ai appris à monter avec des
militaires, j’ai été dressée à la dure, à cette époque on n’avait pas de petites
monitrices ! raconte-t-elle. J’ai
fait des années de manège, mais j’ai appris à bien monter en équitation
classique». Fanny
obtient son 2ème degré (l’équivalent du Galop 7 actuel), fait de la
compétition de dressage et du CSO.
A 20 ans, résidant désormais en région parisienne, elle achète son premier cheval, « Romano, un Pur-Sang d’une dizaine
d’années que j’aimais bien emmener en forêt de Rambouillet. Et puis d’un coup,
ça m’a toqué, j’en ai eu marre du manège, je lui ai mis un sac sur le dos et je
suis partie de la région parisienne jusqu’en Normandie ! J’ai débarqué à Deauville
avec mon Pur-Sang et dès lors, je suis devenue mordue de rando ».

Pour pouvoir
randonner un peu partout en France, Fanny loue des chevaux, ou s’en fait prêter.
A 30 ans, elle épouse un agriculteur et s’installe en Normandie. A la ferme, il
y a les vaches laitières de Fanny et Gérard, mais aussi les chevaux de
Fanny : « Après Romano, j’ai
acheté Rufinius, un Trotteur Français de 11 ans que j’ai rebaptisé Espoir. Il
était réputé indomptable et m’a virée un paquet de fois, mais j’ai réussi à
gagner sa confiance ! Avec lui, j’ai fait le tour de la Bretagne, de la
Manche, de la Dordogne… A l’époque, je ne faisais que de la randonnée montée,
pas attelée. J’avais aussi une jument Selle Français parce que j’aimais toujours
le CSO. Quand j’ai pris de l’âge, j’ai arrêté la compétition et à 45 ans, je me
suis mise à l’attelage ».

Fanny se
forme chez Patrick Rebulard, un champion d’attelage de sa région. Deux ans plus
tard, elle achète une voiture et son premier cheval d’attelage, nommé Drab :
« C’était un vieux cheval polonais de
26 ans, idéal pour un premier voyage. Par contre, il avait de très mauvais
pieds et ce premier voyage a aussi été le dernier ! » C’est là que
naît dans l’esprit de Fanny l’idée de créer un Tour de France en attelage et en
solitaire, afin de baliser tous les chemins praticables : « Les cavaliers ne s’en rendent pas
compte, mais en attelage, on ne s’engage pas sur un chemin comme ça ! A
cheval, on peut toujours reculer ou faire demi-tour, mais en attelage, ce n’est
pas toujours possible ».

Fanny met au point une méthode bien à elle : elle achète un VTT électrique et décide d’effectuer,
avant chaque voyage, une reconnaissance des chemins : « Je prends des cartes IGN et je coche tous ceux qui passent en
attelage. D’une part, je prépare mon
futur voyage et d’autre part, je fais quelque chose d’utile pour les autres
meneurs qui viendront après moi ».C’est ainsi
que, depuis 15 ans, chaque année, Fanny Châtel fait « un petit bout de France : au mois de mai, je pars trois semaines
en reconnaissance, et en septembre, je commence mon voyage qui dure environ
deux mois. Septembre, c’est le mois idéal, il fait encore beau et il n’y a pas
trop de monde ».

Depuis l’an
dernier, Fanny part un peu plus tôt dans l’été : en 2017, elle a quitté
son domicile dans l’Orne le 17 août et voyagé jusqu’au 5 octobre, date de son
arrivée en Alsace. Avec, au bout des guides, Texas, son merveilleux Cob Normand
dont le joli nom évocateur du voyage et de l’aventure lui va comme un gant :
« Je l’ai acheté il y a 8 ans (à
l’époque il avait 3 ans ½) chez Georges Jouvin, un éleveur de Cobs très
réputé dans la Manche. Texas était tout juste débourré, attelé et monté, mais
je l’ai formé à ma main ».

Fanny et
Texas ? Une histoire de cœur tellement belle que les mots peinent à
l’exprimer : « Entre nous, c’est
fusionnel ! Je m’en suis fait un copain et j’ai réussi à gagner sa
confiance, ce qui est absolument nécessaire en attelage. Quand on part tous les
deux, on est très liés… D’ailleurs, il ne veut jamais que je le quitte ». Néanmoins, quand
on voyage ainsi deux mois sur les routes, on ne vit pas d’amour et d’eau
fraîche… Rodée à tout l’aspect « logistique », Fanny ne se laisse
jamais prendre au dépourvu : « Dans
ma voiture, une wagonnette à 4 roues que j’ai achetée en Hollande, je
transporte une tente Décathlon « 2 secondes », ultra-pratique, un lit
de camp, deux duvets, un réchaud, des casseroles… Bref, tout mon petit bazar de
camping. J’ai aussi une valise de vêtements, ma pharmacie personnelle et une
tenue de pluie. Je n’ai jamais voulu mettre de capote à ma voiture parce que ça
se prend dans les branches, j’ai juste une bâche pour la protéger de la pluie.
J’emporte aussi une rallonge électrique de 40 mètres qui me permet de brancher
un petit radiateur, une glacière et de recharger mon portable ».

Pour son
cheval, Fanny transporte un bidon et un seau d’eau, une pharmacie vétérinaire,
des instruments de pansage, un masque anti-mouches et un jeu de fers Tungstène
de rechange : « Je sais
remettre un clou, mais pas plus. Je fais toujours appel à des maréchaux-ferrant
professionnels. Chez moi, j’ai un très bon maréchal, d’ailleurs l’an dernier,
il a ferré Texas au départ et la ferrure a tenu 700 km ! IL faut dire que mon Texas a de très bons pieds,ce qui est un bel atout pour des chevaux qui voyagent longtemps".

Pour la
nourriture, cela dépend du choix d’hébergement : « Je ne fais jamais de camping sauvage. Je dors soit sous la tente,
généralement dans des centres équestres qui peuvent me fournir du foin et des
granulés pour mon cheval, soit dans une chambre d’hôte adjacente à un pré pour
Texas. Dans ce deuxième cas, j’ai toujours une ration de granulés que j’aurai
achetée le jour précédent ». Fanny le
reconnaît : on a beau être aventurière, par respect pour son cheval, en
voyage il faut être « bien organisé
et toujours anticiper. Mon cheval pèse tout de même 850 kilos et il lui faut
ses 8 litres de granulés par jour ! » Il faut dire que Texas tire
entre 600 et 700 kilos : rien que la voiture nue fait 400 kilos, et il y a
bien 200 kilos de bagages. Or, même si la sécurité de son cheval est prioritaire, Fanny ne dit non pas à « un
petit peu de confort, parce que ça fait du bien. D’ailleurs, il y a toujours
une douche dans un centre équestre ! »

Parmi les
bagages de Fanny, vous trouverez aussi la roue de secours, le cric, la croix de
St-André, la chambre à air… « La
crevaison, c’est la bête noire des meneurs, soupire Fanny. L’an
dernier j’ai crevé 5 fois et franchement, c’était épuisant. Alors cette année,
pour mon prochain départ, j’ai décidé de mettre des pneus increvables, avec une
mousse en résine. Je suis en train de mettre ça au point avec mon mécano parce
que je ne veux plus vivre l’enfer des crevaisons ».

Enfin, s’il
y a bien une chose que Fanny ne risque pas d’oublier, c’est l’indispensable
tronçonneuse électrique : « Je
m’en suis quand même servie 4 fois l’an dernier ! Quand vous trouvez un
tronc d’arbre en plein milieu du chemin, comme il est parfois impossible de
faire demi-tour en attelage, c’est la seule solution. Une fois, j’ai même
trouvé une voiture abandonnée, sans doute volée. Bon, je n’ai pas tronçonné la
voiture, mais j’ai dégagé les buissons
tout autour pour pouvoir me frayer un passage et la contourner. Et j’ai prévenu
la gendarmerie ».
Bien sûr,
Fanny pourrait rester sur les routes pour éviter ce genre de mésaventure. Mais,
justement… « Moi ce que j’aime,
c’est l’aventure ! avoue-t-elle en gloussant comme une gamine
émerveillée. Je ne veux pas faire que du
bitume. L’intérêt en attelage, c’est les chemins. J’aime voir du gibier, je
croise des chevreuils, des cerfs…. »

Quand on lui
demande ce qu’elle aime le plus dans le voyage, Fanny Châtel n’hésite pas une
seconde : « Le contact avec mon
cheval… Le tête à tête entre Texas et moi… J’adore être perdue dans la nature, seule
et tranquille toute la journée. Par contre, le soir je rencontre du monde, j’ai
des contacts. C’est ce contraste que j’aime ».
Des contacts
humains d’autant plus agréables qu’en général, Fanny a droit à un accueil
formidable : « Les gens sont
souvent étonnés et admiratifs. Bien sûr, j’ai toujours droit aux mêmes
questions : par exemple, « vous faites combien de kilomètres par
jour ? » Je réponds que je n’ai pas de compteur dans la voiture, mais
qu’en moyenne je fais entre 25 et 30 km par jour ».

La question
que Fanny n’aime pas, c’est « Vous n’avez pas peur ? « Il est évident que si j’avais peur, je ne
le ferais pas : je ne suis pas maso ! De toute façon, j’ai toujours
eu la bougeotte, j’ai toujours été casse-cou. Je suis une cinglée de
l’aventure, toute jeune je partais à cheval en forêt et déjà il fallait que je
saute tout ce que je trouvais sur mon chemin, même les obstacles fixes. Alors, casse-cou,
je le suis toujours un peu puisque je pars seule en attelage… »

Fanny l'avoue, il lui arrive d'avoir quelques sueurs froides : « Un jour, je me suis trompée de chemin
– c’est ce qu’il ne faut pas faire en attelage, mais ça arrive – et j’ai dû
passer 4 gués. C’est bien simple, je n’avais pas le choix. Deux d’entre eux étaient faciles à passer,
mais dans les deux autres j’ai vraiment eu peur. La voiture a littéralement
plongé ! »
Quant à
l’ultime question à laquelle elle a droit à chaque fois : « Et votre mari, il ne râle pas que
vous le laissiez seul à la ferme ? », cette femme de caractère
aussi drôle que touchante répond sans détour : « Je ne lui demande pas son avis ! Il me connaît, il m’a
épousée comme ça ».

L’an
dernier, Fanny Châtel a exploré pas moins de 11 départements en presque deux
mois : l’Orne, l’Eure, l’Oise, la Somme, l’Aisne, les Ardennes, le Nord, la
Meuse, la Meurthe-et-Moselle, la Moselle et le Bas-Rhin. Au terme de son
périple, elle a loué un camion équipé d’un plateau pour rentrer chez
elle : « J’ai pu ainsi ramener
ensemble la voiture et le cheval, c’était bien pratique. Ce n’est pas évident à
trouver, j’ai loué ça au Domaine Equestre de Stambach, qui fait de
l’attelage ».

Tout au long
de l’année, Fanny ne rêve que d’une chose : repartir. Actuellement, elle
prépare déjà son prochain voyage et se réjouit de retrouver les guides : « Je suis tellement passionnée
d’attelage que je ne monte plus à cheval. Texas, je l’ai monté au début, il
était d’ailleurs très bien mis, mais maintenant ça me fatigue trop, surtout au
niveau des adducteurs, parce qu’il est trop large ! »

En 2018, l’itinéraire
de Fanny Châtel passera plus au sud : « Je vais commencer par Angers, longer la Loire, passer à Vierzon, en
Sologne puis dans le Morvan – là ça va être dur, parce que ce sera plus
pentu ! Mon objectif, c’est de me faire plaisir, mais aussi de faire
profiter les autres meneurs de mon expérience. Je pense être la première à
créer un Tour de la moitié nord de la France en attelage, avec une
reconnaissance précise et minutieuse de tous les chemins praticables ». Le
départ est fixé au 6 août, et le voyage durera jusqu’à début octobre environ. « Au fait, je cherche des sponsors,
dites-le dans votre article ! glisse Fanny en riant. Parce que pour un voyage comme ça, il faut
compter environ 5000 € ».

Ce qui
compte le plus aux yeux de Fanny, c’est d’assurer la sécurité de son
cheval : « C’est mon premier
objectif ! Trouver pour lui un enclos correct, de l’eau et de la
nourriture. Moi, je me débrouille toujours ».
Et Fanny de
se remémorer la fois où elle a cru perdre son cher Texas : «J’avais téléphoné au propriétaire d’un
camping qui m’avait dit « oui, pas de problème, on a un parc pour
votre cheval ». En fait, c’était un
parc tout juste bon pour des chèvres ! Et ça n’a pas loupé : mon
cheval s’est échappé. Je ne l’ai retrouvé que de longues heures plus tard, en
pleine ville de Gennes, le
long de la Loire. Et je peux vous dire que le retrouver indemne, mon Texas, ça
a été une sacrée émotion… »

Vous pouvez contacter Fanny Châtel par mail : gerard.chatel61@orange.fr ou par téléphone 06 13 82 45 47
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