Stéphane Bigo, du voyage à cheval à l’éthologie
Pendant plus de 25 ans, Stéphane Bigo a sillonné la
planète à cheval. Aujourd’hui, il se consacre à l’enseignement éthologique.
Rencontre avec un cavalier au long cours qui a encore beaucoup, beaucoup à nous
apprendre…
Un autre regard sur les cultures du monde
Dans le monde du voyage à cheval, son nom suscite
immédiatement l’admiration et le respect. Stéphane Bigo
? Une légende vivante !
Voyageur à cheval, écrivain, photographe, conférencier, cavalier d’endurance, enseignant
d’équitation DE, spécialiste de l’éducation éthologique du cheval… Par Toutatis, y a-t-il une seule activité que Stéphane Bigo n’ait pas exercée pour servir la cause du cheval et des peuples cavaliers ? Difficile de résumer le
parcours hors des sentiers battus d’un homme doté de tant de cordes à son arc…
si ce n’est, peut-être, en disant qu’avant tout cela, et au-delà de ses
différentes « étiquettes », Stéphane Bigo est surtout une belle
personne. Précisément parce qu’il est inclassable et réfractaire à tout ce qui
nous formate, nous assiste, nous enferme ou nous fige…
Voyager pour mieux connaître l'autre
Ce grand cavalier humaniste
au regard pétillant d’intelligence, pour
lequel « la connaissance de l'autre est le premier facteur de paix dans le
monde », nous a beaucoup apporté du temps de son existence nomade et
voyageuse. En prenant (un peu) d’âge et en posant ses sacoches de cavalier au long cours, il aurait pu lever le pied… Mais non ! Cet
infatigable globe-trotter a trouvé le moyen de continuer de nous apporter un précieux savoir, par
le biais de sa « deuxième vie » d’enseignant d’équitation
éthologique. Chapeau bas, Monsieur Bigo !
Comment, à la veille de devenir notaire, ce
« bourgeois citadin » selon sa propre définition, en est-il venu à
tout quitter pour partir explorer le vaste monde sur le dos d’un
cheval ? La réponse réside dans ces quelques lignes écrites pour résumer
sa démarche : « Je suis né
en Occident, dans une région du monde où se sont développés science, démocratie
et libre arbitre. Telle est ma culture, la paire de lunettes à travers laquelle
je vois le monde. Si je voyage à cheval, c'est que je ne veux pas en rester là.
Ma quête est d'élargir mon horizon, de chausser d'autres lunettes ou tout au
moins de mettre des verres correcteurs à ceux que je porte déjà. Je suis myope
et le resterai toute ma vie, Inch'Allah !
Le cheval, sésame idéal
De culture greco-judéo- chrétienne,
je me demandais quelle vision du monde on pouvait avoir si l'on était musulman,
animiste, taoïste, bouddhiste ou hindouiste ? Un des intérêts majeurs du voyage
à cheval est qu'il permet l'immersion dans une culture par une approche
pragmatique des choses. J'aime que l'intellectuel procède du manuel. C'est le
seul moyen pour que nos « modèles » restent frappés au coin du bon sens. Et le
cheval est le sésame idéal pour entrer en contact avec les gens et avoir un
aperçu de leur vie et de leurs préoccupations. »
La première vie de Stéphane
Bigo commence le 31 mai 1937 dans le nord de la France. De 4 à 7 ans, le petit
Stéphane vit dans une ferme : « C’est une chose qui te marque à jamais, une source vivante qui fait qu’avec des animaux dans la nature on est chez soi », commente-t-il.
Mais à l’âge de raison, il rejoint
la ville avec sa famille, à Marcq-en-Baroeul près de Lille. En grandissant, son parcours
semble tout tracé : après tout, il n’est pas issu d’une famille de
cavaliers, mais de notaires ! Un héritage paternel dont il aurait aisément
pu profiter s’il avait choisi la facilité et la stabilité. Bon en maths, il
s’oriente d’abord vers des études scientifiques, intègre Sup’Aéro et devient ingénieur civil de
l’aéronautique.
Affiner la relation avec le cheval
À Salon-de-Provence, pendant son service militaire, Stéphane Bigo découvre les joies de l’équitation d’extérieur : « C’est
là que j’ai pris ma première gamelle ! » Il randonne avec bonheur en
Camargue et dans les Alpilles, puis décide d’affiner sa relation avec le cheval.
Il s’inscrit alors en club, passe son 1er puis 2d degré et découvre le
CSO, qui lui offre « des sensations ». Plus tard, il s’initiera également
à l’endurance, une
belle discipline d’extérieur découverte avec Denis Letartre. En national il fera les 135 km
d’Allan !
Côté
professionnel il rejoint la tradition familiale, travaille avec son père et
obtient tous les diplômes qui lui permettent de devenir notaire. Jusqu’à ce jour
où, en passe de racheter la charge notariale, grande remise en
question, il décide de prendre l’année sabbatique qui allait initier sa
deuxième vie, celle de cavalier au long cours.
Ne pas être astreint à l'asphalte
« Mon
truc, c’était le voyage. Ça, j’en étais sûr. Je n’ai pas passé 39 ans
le cul sur une chaise pour aller me sédentariser quelque part. J’avais le choix entre partir à vélo, à moto, en routard… Mais je ne voulais pas être astreint à l’asphalte. Et quand j’ai
pensé "à cheval" ça a été l’illumination, la belle bleue qui
dégouline en étincelles multicolores. Même si, en tant que cavalier de club, je me suis rendu compte que je n'avais aucune compétence de randonneur équestre !"
Replaçons les choses dans leur contexte : certes,
le tourisme équestre se développait en France – c’était l’époque de la FREF et
de l’ANTE (Fédération des Randonneurs Équestres de France et Association Nationale du Tourisme Équestre) - mais le voyage
à cheval n’a rien à voir : « Dans le tourisme
équestre, le cavalier s’adresse à un professionnel pour randonner, constate
Stéphane. Dans le voyage à cheval, il doit tout assumer, y compris une
réorganisation complète de sa vie. » Il s’avère que cette année sabbatique
s’étale aujourd’hui sur plus de 40 ans !
Pour son premier voyage à cheval, en 1976-1977,
Stéphane Bigo décide de parcourir le Moyen Orient d'Istanbul à Kabul. Il traverse
la Turquie, l'Irak, l'Iran et l'Afghanistan. Au retour, il écrit son premier
livre, « Crinières au vent d'Asie »,
publié chez Nathan, qui obtient le Prix du livre d'aventure vécue en 1979.
Seul avec soi-même
Ce premier voyage ne lui donne qu’une envie : repartir !
Pour cet homme curieux et cultivé qui a
décidé de prendre son destin en main, le voyage à cheval offre non seulement un autre regard sur le monde, mais aussi une façon de se réaliser : « Le
voyage à cheval en solitaire, c’est le voyage et le cheval, un monde
sur un monde. Ça vous largue seul avec vous-même, en face à face et aux
limites. Plus possible de tricher. Avec un cheval dessous et une mule derrière,
la terre entière s’offre en cadeau. »
En 1979-1980, Stéphane part de Denver pour découvrir
le Far-West américain et traverser tout le Mexique jusqu'au Guatemala. « Crinières
au vent indien », chez Robert Laffont, racontera cette aventure.
8000 km en Amérique du Sud
En 1984-1985, c’est la découverte de l'Amérique du Sud :
Brésil, Paraguay, Argentine, Chili, Pérou et Bolivie. Cette fois ce n’est plus en solitaire qu’il voyage mais en
compagnie de sa compagne de l’époque, Michèle Corson. « Partir en couple, cela peut être très
riche, très exaltant mais il n’y a plus ce "larguer les amarres", cette immersion
dans l’inconnu. Et la belle aventure se transforme parfois en roman de
gare ! » 8.000 km parcourus
et racontés dans « Crinières sans
frontières », publié par Albin Michel (épuisé).
Souvent
Stéphane se demande s’il vivrait dans les pays qu’il traverse. Il décide de
tenter l’expérience au Brésil. Objectif : développer le tourisme équestre
inexistant dans ce pays mais aussi l’endurance. Il y passera cinq années de sa
vie et rencontrera la belle Véronique Germa, franco-brésilienne, à l’époque institutrice au
lycée français de São Paulo.
En 1994, l'Afrique l’appelle : toujours à cheval. Véronique,
fan de Daktari et de « Out of Africa » insiste pour l’accompagner.
Stéphane se laisse convaincre et traverse avec elle le Cameroun, puis
l’Éthiopie et le Kenya. Bien lui en prend, il la demande en mariage à la fin du voyage. Au tour de Véronique de se
laisser convaincre... Ensemble, ils écrivent « Crinières d'ébène », publié chez
Belin.
Le voyage à cheval, ce n’est pas forcément à l’autre
bout du monde : en 1997, Stéphane traverse les Pyrénées avec un ami,
Claude Carcy, de l'Atlantique à la Méditerranée par le GR 10. 1 000 km avec des
équidés de la région (Mérens, Pottock et mule). « Un
condensé de difficultés rencontrées nulle part ailleurs. »
À cheval sur les routes de la soie
En 1999, c’est en père de famille qu’il repart
explorer le continent asiatique : il démarre d’Urumqi, la capitale du
Xinjiang (Turkestan chinois) avec une caravane de trois chevaux et deux
chameaux et parcourt, en compagnie de ses deux fils (à tour de rôle) et de Véronique, 2 500 km en Chine sur les routes de la soie. A travers les Monts
Célestes, le désert du Takla Makan, Kashgar et l’Himalaya, il rallie le Pakistan par la
Khunjerab Pass. Au retour, il écrit « Crinières de Jade », paru chez
Belin, qui obtient le prix René Caillié des écrits de voyage en 2002.
Les voyages à cheval de Stéphane Bigo constituent aussi la base
culturelle de ses conférences et interventions en milieu scolaire, lorsqu’il
est en France. Celles-ci
lui permettent de vivre et s’articulent autour d’un projet qu’il intitule
« Connaissance de l’Homme", qui fut en son temps agréé par l’Unesco et
qu’il poursuivit ensuite avec Véronique dans la région marseillaise (via
l’association « Planète et Connaissance de l’Homme »). C’est par un
véritable travail de chercheur qu’il élabore ses programmes.
Se questionner sur les valeurs culturelles
« À la fin de mes voyages, je rédige une sorte de
mémoire de type universitaire qui me sert de base pour mes
interventions. Il tient compte de ce que j’ai pu voir sur place mais aussi de
lectures diverses ou d’enseignements de
spécialistes en sciences humaines de la région du monde que je viens de
traverser. Cela
débouche parfois sur des questions fort intéressantes. En Afrique par exemple,
les particularités que j’ai pu rencontrer aussi bien au Cameroun qu’au Kenya ou au Mali (ethnies, animisme, organisation sociale et
familiale : castes, monarchies, matriarcat, polygamie, classe d’âge…)
font-elles partie d’un patchwork culturel ou sont-elles les fondamentaux d’une
véritable civilisation ? »
Ses études sur l’Islam le passionnent à tel point qu’il
propose même à Jack Lang de recréer à l’Institut du Monde Arabe une « maison
de la sagesse », comme il en existait à l’époque de l’âge d’or de l’Islam.
Mais il s’intéresse tout autant à l’Amérique latine, dont il retrace avec jubilation
« toute l’histoire depuis la colonisation. »
Éduquer le cheval... et s'éduquer soi-même
En 1995, le cavalier-conférencier passe son monitorat
d’équitation. Dès la
fin de son cycle de grands voyages (1999), il s’intéresse à l’éducation du
cheval. Tout en continuant à randonner (Ardennes en 2002,
Alpes, Jura et Vosges en 2003), il commence à diriger des stages d’équitation
éthologique : un aboutissement naturel pour ce cavalier au long cours qui
n’a eu de cesse de mieux comprendre la nature profonde du cheval. « L'équitation
éthologique, comme l'équitation de légèreté, consiste d'une part à éduquer et à
utiliser le cheval dans le respect de sa nature, d'autre part à s'éduquer
soi-même pour être à la hauteur de cette tâche. » Voilà une excellente définition, dont devraient s’inspirer bien des pseudo-cavaliers éthologiques actuels !
Fusionner les deux équitations
De cette réflexion est né un livre paru chez Belin en
2010, « L’équitation de légèreté par l’éthologie ». Cet ouvrage de
référence, réédité avec succès en 2013, est le seul à proposer une fusion de
ces « deux » équitations trop souvent opposées : l’équitation de
tradition française issue des grands écuyers des siècles passés et
l’équitation éthologique contemporaine.
Merci à toutes les crinières du monde...
Lors de ses stages, enrichis de son incroyable
expérience des cultures équestres du monde, Stéphane Bigo apprend au cavalier
à « créer un vrai dialogue »
et à devenir « le membre alpha, le meneur de jeu, le leader de son cheval, jamais le dominateur. » Sa démarche va bien au-delà de l’éducation du
cheval et du cavalier : elle est aussi sa façon d’exprimer sa gratitude envers
tous les chevaux qui l'ont fait « danser
parmi les vents des cieux » et qui, d’un continent à l’autre, l’ont aidé à mieux
se connaître lui-même…
« Un jour que je tendais l’oreille, dit-il, un
cheval m’a chuchoté : "À ceux qui me dominent, j’offre ma force et ma
rapidité, mais à ceux qui m’apprivoisent j’ouvre les portes de ma propre magie.
Car je suis plus qu’un moyen, je suis l’initiateur." Alors, un peu surpris, je suis parti avec lui. D’abord à
l’aventure pour aller jusqu’où le ciel et la terre se confondent. Ensuite à sa
recherche. Et là,
stupéfaction, il m’a emmené sur les chemins de ma propre conscience. Comme s’il
voulait m’ouvrir les yeux sur moi-même après me les avoir ouverts sur le
monde. »
Photos © Collection S. Bigo. Tous Droits Réservés.
Photo édito : "Sud Iran : je marche dans un univers bleu
pâle, je flotte dans une sphère d'azur..."
En 2019, participez à la Chevauchée fantastique dans l'Ouest américain avec Cheval d'Aventure en compagnie de Stéphane Bigo !
Le site de Stéphane Bigo est plus spécialement destiné
à ceux qui veulent éduquer les chevaux ainsi qu'à tous ceux (voyageurs inclus)
qui désirent avoir un aperçu des cultures du monde. Vous y trouverez le calendrier des stages et des
randonnées, et pourrez aussi commander ses ouvrages dédicacés.
Tous les livres de Stéphane Bigo sont disponibles sur son site (dédicacés !) ou sur www.equibooks.fr
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