Transhumances : une tradition équestre ancestrale
Convoyer un troupeau de chevaux en liberté sur d'immenses territoires vierges, ce n'est pas du folklore, mais une tradition équestre ancestrale que perpétuent aujourd'hui de nombreux peuples cavaliers à travers le monde... et même en France.
La transhumance, "une forme de nomadisme assagi"
Transhumance… Un nom poétique et évocateur, du latin
trans (de l'autre côté) et humus (la terre, le pays), qui fait immédiatement naître
à l’esprit des images d’immenses troupeaux libres dans la nature : gnous d’Afrique,
vaches d’Aubrac, moutons de Provence … ou chevaux du monde entier !
Étymologiquement, la transhumance se définit comme la migration périodique du bétail (bovidés, cervidés, équidés et
ovins) entre les fermes ou pâturages d'hiver - en plaine - et les pâturages d'été - en
montagne. Destinée à faciliter l’engraissement et la reproduction des animaux,
elle se pratique sur tous les continents. Le saviez-vous ? Le terme « transhumance » s'applique aussi aux essaims
d'abeilles passant d'une région florale à une autre !
Une tradition vieille de 4000 ans
L’historien Fernand Braudel a beaucoup étudié ce qu’il
appelait cette « forme de nomadisme assagi », expliquant que la transhumance remonte au moins à 4 000 ans. Après un déclin progressif en Occident au XXème siècle, la transhumance revient aujourd’hui à l’honneur dans de nombreux pays d’Europe.
Rien d’étonnant à cela : à l’aube du XXIème siècle, elle s’inscrit
naturellement dans le développement d’une agriculture durable et s’avère idéale
pour aider à conserver la biodiversité.
Pour les bovins et les ovins, elle reste parfois un
peu folklorique et orientée vers le tourisme. En revanche, dans le monde entier
(y compris en France) les peuples cavaliers n’ont jamais vraiment cessé de
transhumer leurs troupeaux de chevaux - au contraire des moutons ou des vaches,
plus souvent transportés en camion !
Cette tradition équestre ancestrale se
retrouve dans de nombreux pays : États-Unis, Islande, Mongolie, Espagne, Italie,
Suisse… Pour le plus grand bonheur des cavaliers de Cheval d’Aventure, invités
à participer à cheval à ces magiques transhumances d’hier et d’aujourd’hui !
Tribus amérindiennes et transhumances
Aux États-Unis, dès le XIXème siècle, les
tribus amérindiennes convoyaient déjà des troupeaux de chevaux en liberté.
Comment faire autrement ? Compte tenu de l’immensité des territoires de l’Ouest,
alors que les amérindiens changeaient de campement, c’était l’unique façon de ne
pas laisser derrière eux les mustangs issus de la colonisation espagnole,
capturés et dressés à leur intention.
L’histoire de la culture amérindienne
regorge de transhumances célèbres. L’une des plus poignantes est sans nul doute
celle du troupeau de chevaux Appaloosa, race de légende sélectionnée par les
Nez-Percés, qui accompagna en 1877 la fuite de la tribu du grand chef
indien Chief Joseph sur plus de 1300 miles, poursuivie par la cavalerie
américaine, jusqu’à sa capitulation dans le Montana…
Convoyage de chevaux au pays des cow-boys
Après les Amérindiens, les colons, ranchers et cow-boys
de l’Ouest américain perpétuèrent à leur façon cette tradition – non dans le
cadre du nomadisme, mais pour aller d’un ranch à l’autre, voire d’un Etat à un
autre. Rassembler les chevaux, les « pousser » dans la bonne
direction en un seul groupe compact, s’élancer au triple galop pour récupérer
un dissident s’écartant du groupe et le ramener dans le droit chemin, diriger le
troupeau en toute sécurité à travers les plaines, canyons, déserts…
Cette tradition
équestre ancestrale du convoyage de troupeaux de chevaux se vit encore aujourd’hui, comme par le passé, et n’a absolument
rien de folklorique. Elle constitue une nécessité, et l’unique moyen cohérent de
transporter des centaines, voire des milliers de chevaux, sur ces vastes et
immenses territoires.
La transhumance, socle culturel en Islande
Même chose en Islande, où la tradition équestre des
transhumances de chevaux est encore très vivace. Dans ce pays, le cheval occupe
une place centrale (au point d’y interdire l’importation d’autres chevaux pendant
plus de 1000 ans. Durant les longs mois d’été, les chevaux Islandais vivent à
l'état sauvage sur les pâturages des hautes terres de l'île. Chaque automne,
ils sont rassemblés par les éleveurs pour amorcer leur transhumance à travers
les somptueux territoires de l'île de feu et de glace....
Les chevaux passeront l'hiver dans les fermes, sous la protection des hommes et un climat moins
hostile, avant de repartir au printemps suivant. Cette tradition équestre constitue l'un
des socles sociaux et culturels de l'Islande, tant pour les agriculteurs
propriétaires des chevaux que pour les cavaliers participant à la transhumance.
En France aussi, on transhume bien nos chevaux !
Tout comme l’Espagne, l’Italie, la Suisse… la France
fait partie des pays d’Europe où les transhumances de chevaux existent
toujours. En Camargue, par exemple, la manadière Aurélie Puig effectue chaque
année des transhumances avec son troupeau de poulinières suitées de leurs
poulains. Pas question de transporter en camion des chevaux profondément libres
dans leur tête et dans leur mode de vie !
Il est vrai que la Camargue se prête particulièrement aux bonheurs équestres de la transhumance, lorsqu'il s'agit d'accompagner, déplacer, diriger les petits chevaux blancs en liberté, galopant dans les marais...
Le Mérens, prince de l'estive et de la transhumance
Un esprit que l’on retrouve aussi en Ariège, berceau
de race du cheval de Mérens - ce petit cheval noir élevé en race pure depuis des
générations. Il y perpétue une identité très affirmée, indissociable de son
terroir montagnard et de son mode d’élevage unique en France, basé sur l’estive
et la transhumance. Et les éleveurs de chevaux de Mérens n’en sont pas peu
fiers !
Chaque année au printemps, les troupeaux quittent la vallée pour
rejoindre les prairies d’altitude. Ils n’en redescendront qu’à l’automne, après
de longs mois de vie libre et quasi sauvage : « Contrairement aux brebis et aux
vaches, un cheval ne se garde pas, explique Anaïs Battistella, éleveuse et
guide de tourisme équestre des « Crinières Noires », au pied du plateau de
Beilles. Les vachers, bergers ou éleveurs y jettent un œil de temps à autre,
mais nos Mérens se gèrent tout seuls. En confiant nos animaux à la montagne,
nous perpétuons nos valeurs, comme la volonté d’entretenir la montagne ou de
conserver certaines espèces. La transhumance, c’est le choix du bien-être et de
la liberté pour nos animaux… et c’est aussi le risque de ne pas les voir
redescendre ». En effet, certains chevaux ne survivent pas à l’estive : « Il
arrive qu’un poulain se noie dans une « mouillère », qu’un cheval « déroche »
dans le vide, soit foudroyé… Et puis il y a des prédateurs : les vautours, les
loups et surtout les ours, qui poussent aujourd’hui certains éleveurs à
renoncer à l’estive ».
Consciente du problème, Anaïs espère néanmoins que
chacun puisse cohabiter : « Le risque, nous l’assumons. Car en contrepartie,
tous les chevaux qui ont survécu constituent le meilleur de la race ! Les mères
ont appris à leurs poulains à survivre en milieu hostile, trouver les sources,
éviter les mauvaises plantes, poser le pied au bon endroit, réfléchir au lieu
de paniquer… Ce mode d’élevage naturel reste le meilleur qui soit ».
Les chevaux, des animaux profondément grégaires
D’une façon générale, que ce soit en France, en
Islande, aux Etats-Unis… pourquoi les peuples cavaliers ont-ils choisi de
transhumer leurs troupeaux de chevaux ? Et pourquoi n’est-ce pas si
difficile que cela, même sur de très longues distances ou dans des terrains
accidentés ? Parce que l’instinct grégaire est inscrit dans le gène équin !
Il s’agit d’une tendance instinctive qui pousse des individus d'une même espèce
à se rassembler, à évoluer ensemble et à adopter un même comportement, afin d’assurer
leur sécurité. Or, l’instinct grégaire est l’une des particularités spécifiques
aux équidés.
C’est lui aussi qui explique pourquoi nous, cavaliers randonneurs,
avons tant de mal à nous éloigner du troupeau… voire à immobiliser notre cheval
pour prendre une photo ou sortir un pull de notre sacoche de selle !
Anne Mariage et les transhumances de l'Habitarelle
Anne Mariage, la fondatrice de Cheval d’Aventure,
avait commencé sa carrière de guide de tourisme équestre auprès de la famille
Chardon, en Lozère, qui était à l’époque (au début des années 60) les seuls éleveurs à proposer aux cavaliers des
transhumances équestres lors des « randonnées sauvages de l’Habitarelle »
: il s’agissait de convoyer à cheval le troupeau de chevaux Arabes-Barbes élevé en liberté par Louis Chardon et sa fille Dominique, à l’état
quasi-sauvage, entre Lozère et Ardèche…
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