Chevauchée en Islande, à la rencontre d'Yvar.

Chevauchée en Islande, à la rencontre d'Yvar.

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Chevaucher en Islande est une expérience légendaire et poétique. Christophe Leservoisier nous raconte sa rencontre avec Yvar.

L'Islande et son cheval

Cette île dramatique, où les journées de juin durent aussi la nuit, est peuplée d’environ 320 000 habitants et de 80 000 chevaux Islandais. Ici le cheval est  aussi célébré qu’il l’est en Mongolie. Peu de race de chevaux peuvent prétendre à une telle pureté, car depuis  plus de 1000 ans, aucun cheval n’a été importé en Islande.
Chevaux en liberté en Islande @Blog Cheval d'Aventure
Chevaux en liberté en Islande @Blog Cheval d'Aventure
Le cheval islandais est un véritable témoin du passé. Il a notamment conservé les cinq allures (pas, trôt, galop, amble et tölt ), courantes chez les chevaux européens au début du second millénaire. Le cheval Islandais ressemble à  son île ou l’inverse. Doté d’un tempérament de feu, infatigable, généreux et puissant (il porte de grands cavaliers de plus de 100kg), il vit en troupeau et dehors en toutes saisons.  

Une chevauchée islandaise

J’ai eu la chance de chevaucher en Islande une semaine durant avec un troupeau de chevaux Islandais aux robes variées (alezan, pie, noir, isabelle, rouan), qui furent autant de chevaux de remonte. Chaque journée dans les paysages improbables et féeriques de Landmannalaugar, nous parcourions  entre 40 et 60 kilomètres montant 3 chevaux différents.
C’était le 21 juin, au solstice d’été, lorsque le jour perpétuel désoriente la nature, les animaux et les hommes. Tout ici semble alors exagéré et fantasque. Un printemps interminable, les 4 saisons dans la même journée, des tempêtes de neige suivies d’un rayon de soleil épisodique ont fait de cette chevauchée une épopée.
Traversée à cheval de rivière en Islande @Blog Cheval d'Aventure
Traversée à cheval de rivière en Islande @Blog Cheval d'Aventure
Traversées de rivières en crue, grands détours au tölt pour éviter d’immenses congères, passages au pas sur les névés et  galops débridés sur les plaines herbeuses confirmaient la réputation de résistance et de générosité de ce cheval Islandais. 

Le cheval islandais, Yvar

Et parmi tous ces chevaux montés, il en est un qui fût une rencontre. Tout a commencé par une chute. Nous venions de changer de montures, le troupeau de chevaux en liberté restait dans le parc à moutons de Landsveit le temps de prendre un peu d’avance.  
Je fus parmi les derniers à récupérer mon cheval Yvar et certains cavaliers commençaient à s’éloigner. Et comme Yvar avait un ami à rejoindre dans ce groupe, il m’engagea dans un rodéo imprévu et je chutais lourdement dans la tourbe…. sans lâcher les rênes.
Yvar, le cheval islandais
Yvar, le cheval islandais
Bien m’en a pris car en deux temps, trois mouvements j’étais en selle et fonçais à l’amble rejoindre tout le groupe de cavaliers rigolards. Après quelques explications fermes et encourageantes, alternant allures vives et changements d’allures, Yvar et moi sommes devenus des compères. Il est inépuisable et doux, déterminé et attentif, très équilibré et adroit, avec une robe baie et grands crins noirs et sa raie de mulet signifiant la pureté de ses origines. Il m’a appris le tölt avec patience. 

Notre troupeau de chevaux

Nous étions 17 cavaliers et environ 70 chevaux… « environ » car aucun éleveur Islandais ne dit combien de chevaux il possède.
Nous chevauchions donc suivi par un grand troupeau de chevaux multicolores, poilus et joyeux de cavaler pour leur première randonnée de la saison. Tout cet équipage randonna 7 jours durant au coeur du Landmannalaugar, région la plus spectaculaire de l'île, dans le labyrinthe lunaire des vallées glaciaires qui serpentent entre volcans et glaciers du désert de l'Oraefi.
Depuis le volcan Hekla (dernière éruption en 2000) jusqu'aux glaciers de Myrdalsjökul et Eyjafjallajökull , nous chevauchions hors du temps, perdus au milieu des coulées de laves, des étendues de scories noires magnifiées par des mousses vertes fluorescentes, des montagnes rhyolitiques spectaculaires.
Chevauchée en Islande @Blog Cheval d'Aventure
Chevauchée en Islande @Blog Cheval d'Aventure
Le ciel était bas, l’ambiance lugubre et le vent fort, les hommes et les chevaux tous renfrognés subissaient la tempête de neige. Nous cheminions plein Sud vers Álftavatnskrókur, dit le lac des cygnes, et le glacier Myrdalsjökull, les chevaux traversaient sans se rebiffer le désert de sable noir et les torrents impétueux.
Entre amble et petits galops, nous atteignîmes, harassés, le refuge de Hvanngil où le soleil pointa enfin à l’horizon entamant sa course nocturne. Ce fût une journée mémorable suivi, comme une récompense, d’un jour presque estival durant lequel baignades dans des sources d’eaux chaudes et grands galops au bord du lac Frostastadavatn furent au programme.

Puis, il fallut quitter les hauts plateaux par les gorges de la Markarfljót non loin du glacier Tindafjallajökull, jusqu’à Einhyrningur (la licorne), face au glacier Eyjafjallajökull dont le volcan entra en éruption au printemps 2010, paralysant le ciel de l’Europe, et rejoindre enfin les rives du fleuve Markarfljót. Le terrain caillouteux ralentissait, pour un temps, le rythme des chevaux. La vaste vallée de Fljótshlid avec ses pentes herbeuses, cascades et chutes d'eau annonçaient le retour dans les régions habitées avec une herbe bien fraîche et tendre pour les chevaux jusqu’alors nourris au foin.  Et le dernier gué passé nous conduisit à Austvadsholt chez les hommes et les habitations, comme un regrettable retour à la réalité. Rien ne sera comme avant… l’Islande et ses chevaux avaient réveillé notre imagination.
Troupeau de chevaux islandais @Blog Cheval d'Aventure
Troupeau de chevaux islandais @Blog Cheval d'Aventure
Landmannalaugar à cheval est, pour les cavaliers qui n’iraient – ce qui serait une erreur- qu’une fois en Islande, l’endroit où rencontrer le cheval Islandais. 

L'origine des chevaux islandais


L'histoire du cheval islandais

Au retour je me suis immergé dans l’origine de ces chevaux hors du temps.La scène se joue dans l'Europe du Nord-Ouest au VIIIe siècle après JC. Une caste de guerriers dont le mode de vie est fortement imprégné de religion païenne règne en Scandinavie. Attirés par les richesses du sud, ces commerçants norvégiens, que l'on nommera "Vikings", prennent la mer sur leurs drakkars et envahissent le nord de l'Ecosse et l'Irlande.En Ecosse, malgré l'évangélisation en cours, plusieurs tribus celtiques pratiquent encore l'élevage de chevaux sacrés, le sacrifice rituel de chevaux et divers rites de fécondités liés au cheval. En 850, la dynastie des Macalpin impose le christianisme. Un édit interdit la consommation de viande de cheval et sa vénération, ce qui porte un coup sévère aux éleveurs. Beaucoup refusent les dogmes de la nouvelle religion et recherchent, sous la direction de leurs chefs Ingolfur et Hjörleifur, un pays idéal vers l'Ouest. Il s'ensuit un exode, y compris des animaux. Ils naviguent vers le Nord et colonisent l'Islande en 874.
Chevaux islandais au tötl @Blog Cheval d'Aventure
Chevaux islandais au tötl @Blog Cheval d'Aventure
Durant les 60 années suivantes, les colons vikings venus de Scandinavie, fuyant la tyrannie du Roi Harald Haarfagr, et immigrent avec quelques esclaves celtes. Beaucoup interrompirent leur voyage sur les îles de l'Atlantique nord, dont les îles Shettlands, où ils découvrirent la forme naine d'un poney britanico-scandinave.
L'Islande n'a donc jamais eu de chevaux indigènes. Le cheval islandais descend de races germaniques (Fjord de Norvège, Gotland du Danemark) et de diverses lignées de poneys celtiques. Le cheval islandais est donc tel qu'il était il y a mille ans, un véritable témoin du passé. Il a notamment conservé les cinq allures (pas, trot, galop, amble et tölt ) qui étaient courantes chez les chevaux européens au début du millénaire avant les diverses sélections successives.
De nombreuses races issues de chevaux exportés du continent européen à la Renaissance ont d'ailleurs conservé des allures latérales : Paso ou cheval des steppes péruviennes, Paso Fino en Amérique du sud équatoriale, Mangalarga au Brésil, cheval de selle américain (American Saddlebred)… Mais toutes ces races ne possèdent que quatre allures : l'Islandais est le seul à pouvoir présenter à la fois l'amble et le tölt.
Chevauchée islandaise @Blog Cheval d'Aventure
Chevauchée islandaise @Blog Cheval d'Aventure
Alors que les Européens ont sélectionné les chevaux les plus grands, les plus lourds pour la guerre, éliminant ainsi différentes caractéristiques originelles, les chevaux Islandais sont restés tels quels, avec une grande variété de robes (alezan, pie, noir, isabelle, rouan), et des caractéristiques des chevaux primitifs tels les zébrures sur les membres et la raie de mulet.De nos jours, les Islandais continuent à faire preuve d'un protectionnisme acharné à l'égard de leurs chevaux : tout cheval quittant l'île ne peut y revenir. 
Ce petit cheval robuste a dû s'endurcir et s'adapter au climat hostile du cercle Polaire. Amené par bateau, lâché dans les immensités de cette île, il lui fallait chercher la nourriture sous la neige pour survivre aux rudes conditions climatiques de l'Islande. Une sélection naturelle s'opéra alors, donnant à la race sa robustesse.

La particularité du cheval islandais

Le cheval Islandais a des caractéristiques bien particulières : 
  • il mesure en général entre 1,25 et 1,45m au garrot,
  • il est élevé en troupeau en semi-liberté (les saillies, le poulinage et l'élevage se font en liberté),
  • son poil est épais et rude et ses crins fournis,
  • son dos est court et souple, sa croupe puissante et son encolure forte,
  • sa tête sèche et expressive est assez grosse pour sa taille, caractéristique des chevaux rustiques,
  • ses membres sont courts, solides et ses sabots si durs qu'il n'est souvent pas nécessaire de les ferrer (en Islande le cheval est ferré à froid).
Chevaux islandais à l'amble @Blog Cheval d'Aventure
Chevaux islandais à l'amble @Blog Cheval d'Aventure
Le cheval Islandais est avant tout un cheval utilitaire. Capable de porter 80 à 100 kg, il a un tempérament de feu et une intelligence vive. Courageux et indépendant, il est docile et d'humeur égale, prêt à collaborer avec son cavalier. Le cheval islandais vit longtemps, parfois plus de quarante ans !
À cause de sa longévité, il est tardif : il est débourré vers l'âge de cinq ans contre deux ou trois ans pour les autres chevaux en général.Il est enfin incroyablement résistant à la consanguinité.
Depuis l'interdiction d'importation sur l'île, il y a plus de mille ans, les chevaux Islandais se sont reproduits entre eux. De plus, le climat rude de l'île ferme les routes et voies de communication entre certaines régions en hiver. Pourtant, même dans de petits élevages isolés, aucun problème lié à la consanguinité n'a surgi. Plus étonnant, les tares ont été éliminées du patrimoine génétique de la race par une rude sélection naturelle.  

Les allures du cheval islandais

Le tölt et l'amble sont présents naturellement chez le cheval Islandais.
Le travail des allures peut cependant permettre d'en améliorer la régularité, la netteté ou l'action. 
Le tölt (prononcez "teultt") est une allure naturelle marchée, claire, rythmée, à quatre temps égaux, qui peut varier progressivement de la vitesse du pas à celle du galop. L'attitude relevée et l'ondulation de la queue sont caractéristiques. D'apparence spectaculaire et saccadée cette allure est en fait la plus confortable qui soit, au point qu'un cavalier peut tenir un verre d'eau sans en renverser une goutte !Une partie des Islandais présente le tölt spontanément, même en liberté ; sous la selle, le tölt est obtenu facilement. 
La grande traversée en Islande @Blog Cheval d'Aventure
La grande traversée en Islande @Blog Cheval d'Aventure
L'amble est une allure à deux temps dans laquelle le cheval se déplace par latéraux. Les deux jambes du même côté se déplacent en même temps ; au moment de changer de côté, le cheval se trouve en suspension. À vive allure, l'amble est ce que le cheval Islandais peut offrir de plus spectaculaire (vitesse de course jusqu'à 45 km/h !). En randonnée, il est recherché pour son confort tant pour le cheval que pour le cavalier. La position de l'assiette avec un déplacement significatif du poids de son corps, sur des selles au siège long, conditionne les allures.
Ainsi les positions adaptées sont en avant dans la selle, voire en équilibre, pour le trot ; au centre et assis pour l’amble ; en arrière pour le tölt. 
Yvar me l’a enseigné… merci.    
Transhumanse de chevaux en Islande @Blog Cheval d'Aventure
Transhumanse de chevaux en Islande @Blog Cheval d'Aventure