
La chevauchée fantastique d'Anne Mariage
Au pays des cow-boys et des mustangs, Anne Mariage, pionnière dans les
randonnées à cheval, nous fait découvrir son voyage en Amérique à travers
l'ouest des Etats-Unis de 1978 à 1980.
“J’ai
la nostalgie de ces vieilles routes sinueuses et inhabitées qui mènent hors des
villes… une route qui conduise aux confins de la terre… où l’esprit est libre.”H. D. THOREAU
Itinéraire
aux Etats Unis
Californie - Nevada - Utah - Arizona.
Anne Mariage est partie pendant deux années
en randonnée à cheval sur les routes de l'Ouest Américain et notamment la
Californie. Une région synonyme de rêve.
Le texte ci-dessous est extrait de son livre "Chevaux d'Aventure" publié aux éditions Actes Sud.
Un
récit riche en rebondissements
Froide matinée d’avril 1978 au nord-est
de la Californie. Cette nuit il a neigé sur la montagne Warner. Avec Lionel,
mon ami cow-boy, j’essaie des chevaux. Nous devons les avoir bien en main pour
la journée de demain à Susanville, où nous allons participer à la capture de
mustangs destinés à un programme d’adoption.
Protégés par une loi depuis 1971, ils seraient
encore 50 000 à 100 000 mustangs à vivre en totale liberté dans
l’Ouest des États-Unis ; le Nevada à lui seul en compte la moitié. C’est
ce pays de chevaux libres que je veux faire découvrir à mes amis cavaliers.
Lionel va m’aider.
Le début des
rencontres avec les cow-boys
Au cours de son enfance, Lionel de
Franchessin a reçu un livre sur les lassos. Depuis, il n’a eu de cesse de devenir cow-boy et rejoint le Dalton
Ranch, le plus grand ranch privé des États-Unis, à la frontière entre l’Utah et
l’Arizona.
Aujourd'hui, Cheval d’Aventure propose toujours des séjours en ranch de travail avec les cow-boys.
Lionel aime partager sa passion pour
les traditions de l’Ouest. Il me fait rencontrer Pete Weber, le jeune patron du
ranch YY, timide et laconique, un prince à cheval.
C'était à Alturas, en Californie.
De la Californie au Nevada, des
troupeaux de mustangs sont ivres de liberté. J’aime ce pays où les mustangs ont
le droit de vivre.

De Santa
Fe aux mustangs
Cap sur Santa Fe et le
Nouveau-Mexique. À vingt ans, j’avais eu un coup de foudre pour Santa Fe, un de
ces nombrils du monde où l’on se sent en osmose avec l’univers. Mexicaine jusqu’en
1848, Santa Fe est la plus vieille ville des États-Unis.
La terre promise sera celle des
mustangs. Sous-peuplé et sauvage, le plateau du Colorado, offre des paysages
spectaculaires. On y pratique l’élevage extensif.
Lionel me fait rencontrer Pete Steele,
un cow-boy qui connaît chaque recoin du parc national des Canyonlands et
propose des pack-trips, des
randonnées à cheval avec animaux de bât.
Une chevauchée a vite fait de me
convaincre : les chevaux sont aguerris, les paysages de grès multicolores
aux formes insolites sont époustouflants.
Les
Canyonlands
C’est à Deer Spring Ranch que notre
groupe de quinze cavaliers est accueilli par Pete, entouré de ses
acolytes : Bill, un jeune wrangler athlétique, Howard, un cow-boy et bien
sûr Lionel. Cette solide équipe va nous faire découvrir la beauté sauvage du
parc national des Canyonlands : nous
entrons de plain-pied dans le film de la conquête de l’Ouest.
Dix jours durant, défilent en
cinémascope les paysages grandioses du plateau du Colorado. Nous chevauchons
librement hors piste vers le camp du soir, grisés d’espace sauvage. Quand le
soleil bascule vers l'horizon, le camp s’organise : nourrir les chevaux et
installer le bivouac (campement
temporaire des troupes).
Les cavaliers sont au cœur de
l’action. C’est à qui aidera au chargement des mules jusqu’à réaliser le fameux
nœud en diamant qui finalise le paquetage. Tous ont voulu convoyer un jour au
moins le train de mules, une sacrée expérience.
Bright Angel Trail était un moment de
bravoure. Un parcours vertigineux sur sentier en corniche et encorbellements.
Comment imaginer que d’innombrables troupeaux ont été convoyés ici entre ces
rochers abrupts près de basculer dans le vide ?

La
"cuisine du diable"
À la veillée, Pete et Howard font
revivre ces lieux désormais solitaires. Ils racontent les convois de troupeaux
d’antan, avant l’apparition des barbelés qui ont quadrillé l’espace ouvert, l’open range. Arrivés de l’Est au début
des années 1800, trappeurs, marchands, aventuriers solitaires, desperados,... Les premiers Blancs
vivent en bonne intelligence avec les Navajos, chasseurs-éleveurs venus du Nord.
Les terres ingrates des Canyonlands
attiraient surtout des pionniers et des cow-boys en rupture de ban ; ils
se volaient mutuellement du bétail avant de s’associer pour piller d’autres
vallées.
Entre deux attaques de banque ou de train, ils organisaient des
courses de chevaux et des tournois de poker.
Au camp de Bobby’s Hole, Pete nous
raconte l’aventure de Jim Gadlock, qui campait non loin de là en solitaire. Un
soir de pleine lune, il voit sa mule comme folle galoper en tous sens à travers
la clairière, et comprend qu’elle est chevauchée par le diable. Depuis, ce lieu
s’appelle Devil’s Kitchen, la “cuisine du diable”.
Au fil des jours nous avons appris à
vivre avec ce que la nature offrait dans cette vie de plein air au milieu
des chevaux et des mules, savons trouver "notre" coin de bivouac.

Décors de
légende
J’ai fait confiance à un autre cow-boy
de l’Utah, Mel Heaton. Dès 1981, nous inaugurons avec Mel et son équipe un
itinéraire exceptionnel. Depuis Las Vegas, au Nevada, il faut deux jours pour
rallier le village fantôme de Pareah, point de départ de l’expédition.
Le Redbud Canyon se termine en
apothéose à la plus haute arche naturelle du monde, Rainbow Bridge, site sacré
pour les Indiens Navajos. Repus de couleurs, d’embruns et de baignades, nous
rallions Monument Valley à l’heure où le soleil enflamme le désert. Bivouac
dans le sable cuivré, face aux mesas escarpées où John Ford a tourné les
premiers westerns.
Ce soir nous rencontrons les chevaux.
J’appellerai notre expédition La
Chevauchée fantastique.
Pahreah,
un village de western
C'est le moment de rejoindre par une
longue piste sinueuse la vallée de la rivière Paria, départ de notre aventure.
Dans le sable, de nombreuses traces de chevaux. Au détour d’un dernier
lacet : Pahreah, un vrai village fantôme. Nous y sommes, pour de vrai. À
nous l’aventure, émules de Gary Cooper ou de Calamity Jane !
Lionel vient à notre rencontre avec
Mel Heaton. réservé et timide, à la façon de l’homme de l’Ouest, Mel devine
notre curiosité pour les chevaux attachés à des pins dans la lande alentour. Il
nous présente sa cavalerie. Un festival de modèle et de robes.
Le soleil va disparaître. Mel essaie
de répondre au feu des questions. Oui, Pahreah a vraiment été fondé par des
pionniers vers 1870. Oui, Mel a figuré dans de nombreux westerns tournés dans ce
site spectaculaire.

Sous le
ciel des mormons
Dans un décor à la Lucky Luke, Doug
Bauer, un jeune cow-boy vigoureux au visage poupon et rieur, explique la
légèreté de main indispensable aux cavaliers qui découvrent l’usage du hackamore, ce mors où le cheval n’a rien
dans la bouche mais où la main exerce une action de levier qui comprime le
chanfrein. Vard, cuisinier hors pair, a la sérénité bienveillante d’un
grand-père et le savoir-faire d’une longue expérience. Il s’occupera des
chevaux de bât et, plus tard, de mener les chariots.
Lionel de Franchessin, le plus
français des cow-boys du Nevada, aura la responsabilité de l’intendance et nous
racontera mille et une péripéties savoureuses de la grande épopée de l’Ouest.
Si Mel, Vard et Lionel restent les
piliers, les équipes se compléteront différemment au fil des expéditions, mais
tous sont des personnages hauts en couleurs, dignes de figurer dans les
peintures de Charles Russell. La plupart, nés dans l’Utah, sont de fervents
mormons. Nous découvrirons peu à peu ce que signifie "être mormon".
Les chevaux, dociles et sûrs,
inspirent confiance. Chacun a adopté la monte western et les étriers très
longs.

Les Canyons
Une nouvelle étape spectaculaire nous
conduit au canyon de Sheep Creek. Les parois se resserrent. Nous progressons en
file indienne sur le sable humide jusqu’à Willis Creek, plus étroit encore, de
véritables gorges.
Après deux jours de canyons, nous
savourons le spectacle d’un paysage dégagé, à l’horizon, une lumineuse draperie
de roche rose : Bryce Canyon. Nous y serons demain. Un camion d’intendance
nous a rejoints dans cette haute vallée de Willis Creek, apportant fourrage et
vivres. Tous les deux ou trois jours, selon les possibilités d’accès, ces
rendez-vous évitent de trop charger les animaux de bât. Plus tard nous opterons
pour le camion d’intendance à toutes les étapes.
Les guides mormons nous expliquent
qu’ils se réfèrent à la Bible et au Nouveau Testament, mais aussi au “livre de
Mormon”, découvert au début du xixe siècle par le prophète fondateur de leur
église, Joseph Smith. Pour eux, le Christ viendra rendre le Jugement dernier au
grand temple de Salt Lake City, le jour de la résurrection des morts. Ils
croient à l’éternité d’une vie sans fin où se confondent passé, présent et
avenir. Pour eux, les liens familiaux ont une valeur sacrée.
Dixie
National Forest
Pour les deux longues étapes à venir :
Dixie National Forest, la grande forêt de pins ponderosas. Ces géants
magnifiques peuvent atteindre 70 m de haut et vivre plusieurs siècles.
Les hautes falaises roses de Bryce
Canyon sont entrevues au loin. Plus nous montons, plus le paysage
s’élargit : les gradins du gigantesque amphithéâtre s'étagent sur une
hauteur de 1 000 m. À l’arrivée sur le plateau, on est ébloui par
l’amplitude du panorama et ses couleurs de conte de fées, domaine des Esprits
pour les Indiens Païutes.
De larges espaces herbeux invitent au
galop. Je propose à Mel un canter, un
“galop cadencé et contenu”. Doug s’étonne : “Un canter ? nos chevaux ne connaissent que trois allures :
le pas, le trot et le galop ventre à terre…” Qu’à cela ne tienne ! Les
chevaux s’élancent à bride abattue…

Kanab Creek
Nous approchons de l’ample vallée de
Kanab Creek. Ayant choisi de vivre parmi Indiens Navajos, Mel nous parle de
leurs croyances, des peintures sur sable, du chamane qui peut voyager avec le
vent.
Nous prenons les chevaux en longe pour les mener boire au torrent. Ils
boivent à longs traits, ils sont paisibles, nous nous laissons gagner par leur
sérénité.
Virgin River
Au départ de Kanab Creek, la
progression est pénible et traverser Red Canyon, profond et encaissé, est un
défi. Les chevaux se laissent glisser dans le sable fluide comme sur un
toboggan. La remontée à quarante-cinq degrés est impossible en selle. Quelques
cavaliers se hissent à pied au sommet de la pente pour réceptionner les
chevaux. Nos montures sont lâchées calmement du fond du canyon, les unes après
les autres.
Émergeant d’une forêt claire, les
mesas blanches de White Tower et de Diana’s Throne annoncent la vallée de la
Virgin River. Celle-ci est bien l'oasis attendue.

Proches des lieux d’habitation de nos
guides, les familles nous rejoignent avec un copieux repas de fête. Guitares et
banjo accompagnent des ballades traditionnelles. Nous reprenons les refrains en
chœur : Country road, Home on the range, I’m a poor lonesome
cow-boy… La musique country, gaie, voire gaillarde.
Comme autrefois les pionniers, nous
suivons le cours de la Virgin River, affluent majeur du Colorado. Une colonne
de pionniers réorganisait ses attelages de bœufs pour pouvoir s’extraire du
canyon. Profitant de leur vulnérabilité, un groupe de Navajos les a tous
massacrés.
Après de sanglantes péripéties et un
douloureux exode, les Navajos sont devenus citoyens américains. Ils ont
retrouvé progressivement la propriété d’une grande partie du territoire de
leurs ancêtres. Au nombre d’environ 300 000, ils représentent actuellement
la population indienne la plus importante des États-Unis. Si certains vivent en
assistés, sombrent dans l’alcoolisme ou la drogue, d’autres sont parfaitement
intégrés à la société américaine. Beaucoup continuent à se battre pour la
survie de leur culture.

Vers la prairie
Nous laissons la Virgin River à ses profonds
méandres. Au
campement, le panneau s’ouvre de haut en bas et devient une table soutenue par
un pied. Astucieux ! J’en avais vu dans les peintures de Remington ou de
Russel ; me voilà devant une légende vivante Les
deux chariots sont couverts d’une bâche de grosse toile blanche tendue sur des
arceaux en arc outrepassé.
Ces chariots d’époque ont été
utilisés par les ancêtres de Mel, pionniers dans les années 1850-1870, pour
rejoindre dans l’Utah la communauté des mormons. Dès demain, mules et chevaux
de bât seront attelés aux chariots pour assurer l’intendance des prochaines
étapes dans les grandes plaines de la Prairie.
Ce soir à Pine Springs, Mel, toujours
discret et volontiers taciturne, ne résiste pas aux interrogations suscitées
par les chariots. Il évoque le long exode des mormons, persécutés dans les
États de l’Est, où cette religion nouvelle s’est développée à partir de 1830.

Mel a toujours eu le hobby de
collectionner les vieux chariots et l’idée lui est venue de proposer des
randonnées avec chevaux de bât, accompagnés de chariots. C’est peu après que je
l’ai rencontré. “Wagons roll !” (“Roulez
chariots”) était au temps de la conquête de l’Ouest l’ordre de départ pour les
longues colonnes d’attelages.
Devant nous, l’Arizona Strip, un petit
bout d’Arizona isolé du reste de l’État par la balafre infranchissable du Grand
Canyon. À cheval, tant d’espace fait naître une envie de liberté totale, la
tentation de chevaucher seul ou à deux, peut-être chanter ou dire des poèmes,
gravir une colline, poursuivre un lièvre ou simplement rêver en solitaire.
Aux camps de Yellowstone Mesa et
d’Antelope Valley, l’horizon est dégagé à 360 degrés. Sue Bader apparaissait
parfois dans l’équipe de Mel. C’est à Yellowstone Mesa que je l’ai vue ferrer
plusieurs chevaux. Svelte et décidée, toujours un sourire attendri aux lèvres,
cavalière hors pair, imbattable au lasso, elle monte Jack, un splendide mulet
qu’elle invective de grossièretés affectueuses. Force de caractère, humour
décapant, gouaille et cœur d’or : Sue est notre Calamity Jane.

Grand Canyon
Nouvelle journée de prairie. Belle
descente dans la terre rouge, tous freins serrés pour les chariots, et de
nouveaux reliefs : un chapelet de petits volcans. La piste amorce une
légère montée. Les attelages sont à la peine, alors Mel et Lionel déroulent
leur lasso, l’arriment au timon des chariots, et leurs montures ajoutent leur
force à celle des animaux de trait.
La végétation est à nouveau
exubérante, les cerfs-mulets remplacent les antilopes. Chênes de Gambell au
tendre feuillage, opulente forêt de ponderosas, herbage abondant pour nos
montures : nous sommes au pied du mont Trumbull (2 600 m), le
plus haut d’une trentaine de volcans.
Dernière journée en apothéose. Passée
la descente hasardeuse dans une coulée de lave où “même les cow-boys” ont mis
pied à terre, nous débouchons dans la très large vallée de Toroweap. Quelques
galops pour plonger vers le paysage qui s’amplifie.
Soudain c'est la vertigineuse cassure
: le Grand Canyon ! Un précipice de mille mètres jusqu'au ruban vert du
Colorado. Sous les sabots de nos chevaux, une montagne en négatif plonge vers
les abîmes. Ici s’affichent les archives géologiques de la terre : les
fossiles découverts dans les couches les plus profondes ont 570 millions
d’années. Le Grand Canyon se déploie en amphithéâtres colossaux multipliés à
l’infini. Nous sommes sur la rive nord, à
Toroweap Point, un site très peu fréquenté parce qu’aucune route ne le dessert.

Dans ce site époustouflant, nous
allumons notre feu et installons le dernier bivouac, nous imprégnant de la
splendeur du coucher du soleil. L’obscurité a envahi le fond du canyon. L’ombre
monte lentement le long des parois et finit par atteindre la crête des plus
hautes falaises.
Nous revenons à Las Vegas pour prendre
l’avion. Tout y est artifice, extravagance et délire maximal, folie des casinos
bruyants qui ruissellent de lumières agressives, ciel lacéré de fils
électriques et d’enseignes tapageuses.
La
Chevauchée fantastique existe toujours. Jason, le fils de Doug, et
Justin, le fils de Mel, ont pris la relève. Mel est toujours de l’aventure. Il
n’y a plus de chevaux de bât, beaucoup de choses ont changé, les feux sont
souvent interdits, mais les ciels sont toujours aussi vastes, les canyons
éclatants de couleurs, la Prairie couverte d’armoise odorante et les chariots
encore un peu plus vieux… “Wagons roll !”
Le texte est extrait du livre "Chevaux d'Aventure" écrit par Anne Mariage aux éditions Arts équestres-Actes Sud.
Vous avez envie de lire son livre Chevaux d'Aventure, vous pouvez le trouver chez Raconte moi la terre.
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Vous avez envie de vivre la même chose, Cheval d'Aventure vous propose toujours ce voyage : La Chevauchée Fantastique et sa version plus courte La Chevauchée Fantastique - version courte
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