Chevauchée Fantastique avec Stéphane Bigo
Grand cavalier au long cours, Stéphane
Bigo a accompagné la Chevauchée Fantastique en juin 2019, au cœur
de l’Ouest américain. A son retour, il nous raconte ses impressions de
voyageur.
Les plus beaux sites de l'Ouest américain
Stéphane, pouvez-vous nous rappeler l’itinéraire que
vous avez suivi lors de cette Chevauchée Fantastique 2019 ? Quels Etats de
l’Ouest américain avez-vous parcourus ?
Les organisateurs ont eu la bonne idée de découper le
séjour en deux parties. Pendant les 3 premiers jours, tourisme qui permet au
groupe : 1 – d’absorber le décalage horaire, 2 – de faire connaissance
pendant les trajets en minibus et de s’acclimater au style maison :
campement, pique-nique et « main à la pâte », 3 – de découvrir le
décor si particulier de ces régions de grès colorés façonnés par l’érosion, et
de visiter deux sites majeurs : Bryce Canyon dans l’Utah et Monument
Valley dans la réserve Navajo (à la frontière de l’Utah avec l’Arizona).
Puis se déroule la randonnée proprement dite, 6 jours au
sein de la canyon country, partie la plus spectaculaire de l’Utah, et les 4
derniers jours dans l’Arizona pour rejoindre le Grand Canyon du Colorado par de
grandes plaines couvertes de Sand sage (un arbuste vert d’eau de la famille des
sauges).
Lors de vos grands voyages à cheval, que vous avez
racontés dans vos ouvrages (cf. références en fin d’article), vous aviez déjà
chevauché dans certains lieux des Etats-Unis. En quelle année était-ce ?
Avez-vous trouvé des changements ?
Mon second
voyage (de sept. 1979 à sept. 1980) avait comme but de découvrir le Far-West
américain et le Mexique. Partant des environs de Denver où j’ai trouvé mon
cheval et mon mulet, j’ai traversé l’état du Colorado pour rejoindre l’Arizona
via les « four corners » et Monument Valley.
Beauté et aspect sauvage préservés
Là, j’ai bivouaqué à
Goulding (maintenant Oljato ?) du nom du premier Blanc à s’être installé
là. Il avait fondé un Trading Post Motel où j’ai trouvé du foin et de l’eau,
autour duquel s’étaient groupés quelques maisons et un hôpital destiné aux Navajos.
Inutile de vous dire que, tourisme oblige, le lieu s’est considérablement
développé : musée, villas, hôtels... mais heureusement, Monument Valley
est grand. Ses beautés et son aspect sauvage ont été préservés.
Paysages semi-désertiques
Justement, parmi les Etats ou les sites que vous
n’aviez pas eu l’occasion de découvrir à l’époque, lesquels vous ont le plus
marqué durant cette Chevauchée en termes de beauté des paysages ?
Je crois que
chacun a en soi des paysages intérieurs qui répondent à sa nature profonde.
Pour les uns c’est la montagne, pour d’autres la mer. Pour moi, ce sont ces
paysages semi-désertiques où la roche affleure, où les plantes se battent pour
vivre, où le grès nous offre toutes les variétés de ses formes et de ses
couleurs.
De ce point de vue, mon seul regret lors de mon voyage était d’être
passé à côté de l’Utah pourtant à portée de main, au moins dans sa partie la
plus spectaculaire. Cheval d’aventure m’a permis de réaliser ce rêve.
Les endroits
qui m’ont le plus marqué ? Les « slot canyons », ces « canyons
couloirs » qui coupent en deux les massifs de grès rouge. Ils sont
discrets, au début, juste une entaille dans une falaise qui ouvre sur un
couloir, ma foi, tranquille : le sol est plat, il y fait frais, l’ombre
repose les yeux, le sol de sable est agréable au pied.
Et la roche s'envole...
Ce qui
surprend d’abord est que ce goulet continue. On s’attend à ce que chaque
tournant s’ouvre sur un cul de sac. Eh
non ! On s’enfonce dans les entrailles de la terre mais on suit un chemin.
Vers où ? Suis-je dans un tunnel ? C’est alors
qu’on lève les yeux. Et là, stupéfaction ! La roche s’envole, se plisse,
s’étire, tourbillonne dans une succession de volutes, d’encorbellements,
d’arêtes...
Mon regard d’escaladeur cherche la vire où poser le pied, le graton
où assurer l’équilibre. Rien, des poches, des bombus, du galbe, quelques rides.
Je suis au fond d’un puits ouvert, emporté par une tourmente aussi violente
qu’immobile, qui m’aspire l’âme et me fige le corps. Je n’ai
jamais rien vu de semblable.
Les forces de Dame Nature
Sculpture semble le terme le plus approprié mais
qui dit sculpture dit burin et marteau, concept, représentation. La sculpture
implique le sculpteur, matière pensante et agissante, l’outil qu’il manipule et
la sculpture, matière inerte et passive. Ici, ni
concept, ni représentation, aucune pensée construite. Pourtant à l’évidence, le
lien de causalité sous-tend la construction. Une logique donc ?
Reprenons
nos esprits. La nature comme à son habitude a remplacé le burin et le marteau
par les forces fluides de l’eau et du vent. Mais ça n’explique pas tout.
Pourquoi dans ce cas n’a-t-elle pas taillé droit, comme un couteau qui tranche
le pain ? Soudain je comprends, la sculpture aussi est vivante : les deux
parois ont profité des forces qui les travaillaient pour entamer un dialogue en
contrepoint.
Mille arabesques
Proches l’une de l’autre, elle se sont mises à faire les
folles : danser, virevolter, faire des pirouettes, des cabrioles et mille
autres arabesques. L’art de la fugue version Dame Nature, fantasque, puissant,
inspiré ! A l’heure de
son zénith, la lumière se joint à la fête. Elle aussi bondit, batifole, saute
de paroi en paroi, dévoilant les couleurs d‘apparat de ces danseurs
échevelés : un camaïeu de teintes solaires qui, comme une phosphorescence,
semblent émaner de la roche elle-même.Je
sors de là comme d’un rêve.
Quarter horses indépendants
Parlez-nous de la cavalerie : de quelle race
étaient les chevaux ? Avez-vous apprécié leur comportement, leur
réactivité, leur endurance ?
La plupart
des chevaux sont des quarter horses. Parfaitement adaptés à ce qu’on leur
demande. Ils sont chez eux dans la nature ; huit heures de randonnée ne
leur pose pas de problème ; malgré d’épais tapis de selle et quelques
galops soutenus, ils ne transpirent pas ou peu ; ils se connaissent et se
respectent ; ils passent partout et n’ont pas peur de descentes toboggans
ou de montées escalade et, cerise sur le gâteau, ils sont indépendants.
Liberté et pleine nature
On peut
s’éloigner du groupe pour suivre sa propre piste, grimper une butte ou galoper
dans la plaine sans que cela les perturbe. Pour
le voyageur que je suis, deux atouts majeurs dans cette randonnée : liberté
et pleine nature. Le guide ne nous oblige pas à le suivre en file indienne, à
tenir une place déterminée dans cette file et à calquer notre allure sur la
sienne. L’esprit sécuritaire et militaire beaucoup trop répandu à mon goût dans
nos randonnées françaises ne sévit pas de ce côté-ci de l’Atlantique !
Quant à la nature, on évolue la plupart du temps dans des endroits sauvages où
les pistes sont absentes. Tout terrain, hors-piste sont de mise. Dame Nature
s’offre à nous en toute virginité.
Avez-vous gardé la même monture tout au long de la
Chevauchée, et tissé des liens spécifiques ?
Nos guides
(Cade et Valérie) ont tenu à ce que les cavaliers aient une monture appropriée.
Il y avait des chevaux en surnombre et il est arrivé à plusieurs cavaliers de
changer de monture en cours de route.En ce qui me
concerne, j’ai d’abord monté une jument qui avait des allures vives (trot et
galop) heurtées et inconfortables.
Monture souple et confortable
De plus elle était craintive et reculait la
tête chaque fois que je voulais la caresser. Valérie m’a proposé dès le
troisième jour un cheval beaucoup plus souple et confortable qui me faisait des
départs au galop par prise d’équilibre très « jouissifs ». De plus,
il était aimable et proche de l’homme.
D’une
manière générale, ceux qui dressent les chevaux de travail, que ce soit aux
Etats-Unis ou en Amérique du sud, cherchent avant tout la fonctionnalité. Un
cheval est d’abord un outil qui doit poser le moins de problèmes possible.
Des chevaux de travail avant tout
De
plus il doit être interchangeable et monté au pied levé par n’importe quel
cavalier. La relation n’est donc pas une priorité. D’où une certaine difficulté
à tisser des liens avec ce type de montures.Pour nous
qui qui avons des chevaux de loisir, la question se pose autrement. On
obtiendra de meilleurs résultats si l’éducation est basée sur un rapport de
respect, d’attention et de confiance mutuels.
C’est
d’ailleurs ce que je reproche à un certain nombre de « chuchoteurs »
pour qui la finalité de l’équitation éthologique consiste à « poser des
boutons » « on » et « off » auxquels le cheval
répondra mécaniquement. Quid de la relation dans ce cas qui permet à l’homme de
créer un véritable dialogue avec lui, et au cheval de donner le meilleur de
lui-même ? D’où mes réserves également concernant le clicker training,
même si les résultats sont au rendez-vous.
Lui apprendre à ne pas trottiner
A travers vos stages et votre livre à succès « L’équitation de légèreté par
l’éthologie », vous êtes aujourd’hui reconnu comme l’un des meilleurs
pédagogues sachant combiner les bases classiques et l’approche éthologique.
Avez-vous pu mettre à profit ces connaissances auprès des chevaux durant votre
voyage ?
Je n’ai pas
eu cette occasion en ce qui concerne les chevaux des autres. En ce qui concerne
le dernier que j’ai monté, il avait des difficultés à suivre le pas des meneurs
et donc tendance à les rattraper au trot. C’est assez désagréable. Il a donc
fallu lui apprendre à rester au pas d’abord, à l’allonger ensuite. La première
partie se fait en lui disant « Non ! » chaque fois qu’il veut se
mettre au trot et en le remettant dans l’équilibre du pas, encolure
horizontale.
Incurvations et descente de main
On l’obtient généralement par des demandes d’incurvations avec une
rêne, main basse, suivi de la descente de main dès que le cheval s’est remis au
pas.
Ce procédé utilise le fait que les muscles fléchisseurs d’encolure sont
également abaisseurs. Il a très bien réagi. Après cela on le cadence avec
l’assiette ou une badine (pour qu’il ne se blase pas aux jambes) afin qu’il
allonge ses foulées. Il a fallu un jour et demi pour que Snipper arrête de
trotter et marche du même pas que les leaders.
Chaps et éperons
En ce qui concerne les guides locaux, est-ce qu’ils
représentaient l’archétype du cowboy tel qu’on l’imagine dans la conscience
collective ?
Absolument.
Cade l’Américain avait le chapeau, la chemise, le foulard et le gilet, le jean,
le ceinturon, les chaps, les bottes et les éperons (qui faisaient
« cling-cling » quand il marchait), son cheval avait le lasso en
permanence, de plus, il adorait les descentes toboggans et les montées
acrobatiques, ce qui nous allait très bien.
Valérie, sa (ravissante) femme
française qui parlait parfaitement l’anglais et nous servait de traductrice,
avait la même tenue. Tous deux ne parlait pas pour ne rien dire, avaient l’œil
à tout et savaient où ils allaient. Nota deis !(comme on dit au Brésil).
Comment traitaient-ils et manipulaient-ils les
chevaux ? Vous qui avez une approche à la fois classique et éthologique,
avez-vous pu échanger avec eux sur les différentes façons de travailler,
d’éduquer, de dresser des chevaux ?
Pratiquement
pas, sauf une réflexion ici ou là. D’abord parce que je ne suis pas très à
l’aise en anglais sur le sujet, ensuite parce que l’expérience m’a appris que
la discrétion est de mise en la matière. En
plus, en randonnée, on ne demande pas grand-chose à son cheval, sauf peut-être
de ne pas trottiner pour rattraper ceux qui allongent le pas.
Encolure en-dessous de l'horizontale
Ceci
dit, Cade est un spécialiste du dressage du cheval de travail, façon western,
et je trouve qu’on a beaucoup à apprendre de cette éducation. La sliding stop,
le roll back ou le spin sont des mouvements qui apprennent au cheval à
s’asseoir sur les postérieurs, donc à bien les utiliser, donc à s’équilibrer,
et ce de façon beaucoup plus rapide que via nos progressions de dressage classiques.
De même, la posture du cheval avec l’encolure en-dessous de l’horizontale, même
si je la trouve peu élégante, à l’avantage de remonter le dos et de tendre la
ligne du dessus.
Enfin, le travail en rênes longues est un travail en descente
des aides donc dans la légèreté. Ce principe de La Guérinière est trop souvent
ignoré dans notre équitation où règne le principe sacro-saint du contact, qui,
mal utilisé, enferme le cheval et lui impose des attitudes contractées.
Fermez les yeux : si vous n’aviez qu’un seul
moment à retenir et à raconter de cette Chevauchée Fantastique… lequel
choisiriez-vous ?
C’est déjà
fait en ce qui concerne les slot canyons mais deux autres moments
« méditatifs » furent également grandioses : au petit matin à
Monument Valley quand je me suis baladé seul au pied de la « West Mitten Butte », un
impressionnant dieu de pierre de 300 m de haut !
Le rêve américain grandeur nature
Le coucher du soleil au
campement du Grand Canyon, dans un amphithéâtre de pierres et de couleurs,
illuminé d’une divine lumière dorée. Et chaque fois, ce silence, cette
paix !
Quels conseils donneriez-vous aux lecteurs de cet
article qui portent en eux le rêve américain du Far-West, de la Frontière, des
ranchers et cowboys… ? En quoi trouveront-ils leur bonheur dans cette
randonnée ?
Je leur
dirai que le seul moyen de s’imprégner de ces grands espaces, de les découvrir
avec l’esprit des pionniers, des cow-boys ou des « hobos » (cow-boy
routard qui proposait ses services dans les ranchs où il passait) est de les
parcourir à cheval. Comme j’ai pu le faire en tant que cavalier au long cours
ou comme Cheval d’Aventure vous le propose avec sa Chevauchée fantastique.
S'imprégner des grands espaces
Ils
trouveront leur bonheur s’ils sont bien avec eux-mêmes, s’ils sont curieux du
monde, s’ils savent s’adapter. Et encore plus s’ils cherchent l’essence
profonde des choses.
Enfin, d’une façon générale, pourquoi choisir de
voyager à cheval ? Qu’aimez-vous le plus dans cette façon de découvrir le
monde ?
La magie du
cheval tient à plusieurs raisons. Tout d’abord
il nous dédouble. C’est lui qui trace la route, on n’a plus à regarder où on
met les pieds, la pierre ou le trou ne nous préoccupent pas, on est entièrement
disponible pour contempler aussi bien les vastes horizons que la fleur qui
pousse à nos pieds. Finalement on forme un couple où lui est yin (lié à la
terre) et nous Yang (lié au ciel).
La position
du cavalier est la posture centrée par excellence (cf les cultures orientales),
en plus de vous tenir droit et de
renforcer la colonne vertébrale. Le pas du
cheval, comme son trot ou son galop, est une allure « cosmique » liée
aux mouvements de l’univers. Ce rythme vous imprime dans le rein une
« danse des étoiles » qui vous met en relation avec le cosmos.
Cavalier, pas touriste...
Enfin, votre
âme, confinée dans les espaces civilisés (maisons, bureau, cités…) se libère.
Elle grandit, s’étend jusqu’à l’horizon, emplit l’espace et se met peu à peu
aux dimensions du ciel. Quant à la
découverte du monde, constatons qu’un cavalier n’est jamais un touriste. Toute
personne qui fréquente les animaux sait qu’un cheval a besoin de boire, de
manger et de se reposer. Lorsque vous demandez l’hospitalité, vous ne le faites
pas pour vous mais pour vos compagnons de voyage.
Cette faiblesse (avoir besoin
des autres) fait votre force et vous trouvez toujours à l’autre bout du monde,
un ami, un frère, un père, une mère, une famille...
Propos recueillis par Natalie Pilley.
Photo édito : Christophe Leservoisier@Blog Cheval d'Aventure
Partez dans l'Ouest américain faire la Chevauchée fantastique avec Cheval d'Aventure
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