Kirghizie, terre équestre et céleste

Kirghizie, terre équestre et céleste

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Moins connue que la Mongolie et fortement imprégnée d’une tradition équestre millénaire, la Kirghizie est l’un des pays les plus beaux et les plus sauvages de toute l’Asie Centrale.

Valeurs ancestrales du nomadisme

C’est la patrie des « chevaux célestes », convoitée durant des millénaires par les empereurs chinois…
Des chevaux, des yourtes, un ciel infini…
Des chevaux, des yourtes, un ciel infini…
Encore sauvage et préservé du tourisme de masse, ce petit territoire méconnu permet de renouer avec la nature et les valeurs ancestrales du nomadisme. En effet, chaque été, les bergers et leur famille s’installent avec yourtes et troupeaux dans les hautes vallées. Une occasion inespérée pour les cavaliers voyageurs de rencontrer un peuple cavalier très attachant, dans des paysages sublimes. C’est un pays très montagneux puisque, au-delà des cols à 3 800 m, rivières et lacs bleu émeraude, le Tian Shan culmine à … 7439 m !

Un peu de géographie

La Kirghizie (également appelée Kirghizistan), ça sonne joliment… mais où est-ce exactement ? La Kirghizie est encadrée par la Chine à l’est et au sud-est, le Kazakhstan au nord, l’Ouzbékistan à l’ouest et le Tadjikistan au sud-ouest. Ce petit joyau de l’Asie Centrale, de près de 200 000 km², est entièrement enclavé et ne possède pas d’accès à la mer. Les trois quarts du territoire sont occupés par des montagnes, majoritairement par le massif de Tian Shan et par le Pamir au sud-ouest. Les villes sont situées dans les zones les plus basses du pays mais la capitale, Bichkek, se trouve tout de même à 750 m d’altitude.
Les montagnes constituent les 3/4 de la Kirghizie
Les montagnes constituent les 3/4 de la Kirghizie
A l’est du pays, le lac Issyk-Kul forme une petite mer intérieure de 6332 km² à 1620 m d'altitude : c’est, après le lac Titicaca, le deuxième plus grand lac de montagne du monde, profond de 668 m. Le lac est légèrement salé et ne gèle pas en hiver.
Quant au climat au Kirghizstan, il est continental avec des étés chauds et secs, et des hivers froids. L’été, la température atteint parfois 42°C dans la capitale et dans la région du sud. L’hiver, en altitude, la température baisse jusqu’à - 35°C la nuit. La saison des pluies est au printemps et en automne.

Le cheval kirghize

Voilà une race qui revient de loin ! L'auteur et encyclopédiste équestre Elise Rousseau résume ainsi le cheval kirghize : « Au Kirghizistan, où le cheval a toujours été intimement lié à la vie des peuples d’éleveurs nomades, la population de chevaux est en augmentation avec environ 380 000 animaux, après une baisse des effectifs durant l’ère soviétique. Les chevaux sont principalement élevés pour leur viande et leur lait, qui permet de produire le koumis (cf. plus bas). La race serait issue des chevaux locaux croisés avec des chevaux mongols. C’est le cheval des nomades du Kirghizistan, qui continue d’être élevé en liberté toute l’année ».
La race a beaucoup souffert de l’ère soviétique et des volontés d’amélioration par les Russes, qui la jugeaient laide et trop petite. Ils l’ont donc modifiée par croisement avec des pur-sang, dons, anglo-dons… pour aboutir au Novokirghiz , « nouveau kirghiz », un cheval plus grand et plus puissant, mais qui n’a plus grand-chose à voir avec le cheval kirghize originel !

Sauvegarde de la race originelle

Étonnamment, ce sont des amoureux français du véritable cheval kirghize qui ont œuvré à sa sauvegarde. Impossible ici de ne pas saluer le combat de Jacqueline Ripart : c’est en effet à cette spécialiste des chevaux du monde que la race kirghize méconnue doit sa survie et son retour en grâce en Asie Centrale. Jacqueline Ripart a, dans les années 2000, créé le projet Kyrgyz Aty, dont le but a toujours été la sauvegarde et le développement du cheval kirghize. Son objectif ? Le faire connaître, renaître et défendre, en assurant sa promotion auprès des habitants ruraux pour leur faire prendre conscience de l'utilité de l'animal dans leur biotope montagneux. Aujourd’hui encore, son association est très active.
A cheval dès le plus jeune âge @Blog Cheval d'Aventure
A cheval dès le plus jeune âge @Blog Cheval d'Aventure
Jean-Louis Gouraud, écrivain et éditeur de nombreux ouvrages équestres, rendait déjà en 2011 un bel hommage à Jacqueline Ripart dans son ouvrage  Hippomanie : « Elle s’était déjà fait remarquer, en 1994, en révélant au monde éberlué l’existence de chevaux dans une région réputée fatale à toute vie animale : le désert de Namibie. Jacqueline Ripart a, depuis, sillonné la planète, à la rencontre des « Chevaux du monde » (c’est le titre d’un de ses livres) pour se fixer finalement en Asie Centrale où, depuis dix ans, elle mène courageusement une action destinée à sauver le cheval kirghize de la disparition. Elle a, pour ce faire, pris le problème par le bon bout : loin de pleurnicher sur leur triste sort, elle leur a trouvé de nouveaux emplois, remettant à l’honneur les jeux équestres tombés dans l’oubli, des joutes régionales, et plaçant ainsi le cheval à nouveau au cœur de la société humaine ».

Au patrimoine de l'humanité

Jean-Louis Gouraud lui-même peut aussi s’enorgueillir d’avoir, au tout début, œuvré pour le cheval kirghize : en effet,  lorsqu'il visite les principaux haras du pays en 1992, il constate la quasi-disparition du cheval kirghize et en fait part à un ministre.
Il écrit une longue lettre, qui est conservée par le gouvernement du pays, demandant la protection et la sauvegarde de ce « patrimoine de l'humanité ». Le ministre de l'agriculture de l'époque, Karipbek Arcanov, lui promet la « régénération du cheval Kirghize ». Et c’est Jacqueline Ripart qui prendra le relais avec un dévouement hors du commun.
C’est clairement grâce à ses contacts dans le pays que plusieurs festivals autour du cheval ont été créés depuis 2005, notamment sur la rive sud de l'Yssyk Koul. Depuis cinq ans, ces jeux ont pris une ampleur planétaire puisqu’il existe désormais en Kirghizie des Jeux Mondiaux Nomades !

Petit et rustique

Le cheval kirghize toise 1,37 m à 1,49 m au maximum, souvent 1,45 m en moyenne. Sa robe est variable : on trouve surtout du bai, alezan, parfois gris, noir, isabelle, rouan, aubère. Il a une tête plutôt courte au profil droit ou légèrement convexe, de petites oreilles, une encolure large et musclée, des épaules courtes et droites, un dos court et des membres solides.
La traite des juments, emblème de la vie nomade
La traite des juments, emblème de la vie nomade
C’est un cheval proche de l’homme en dépit de son mode de vie très libre, les Kirghizes étant farouchement attachés à leurs chevaux et les traitant avec une étonnante tendresse.

Le double de l'être humain

Il faut dire que la culture nomade du Kirghizistan se prête naturellement à l'usage du cheval, qui est nettement valorisé dans les épopées, les poèmes et les récits d'explorateurs. Il est décrit comme un double de l'être humain, et comme un animal particulièrement romantique. L'épopée de Manas, entre autres, dit que céder son cheval est pour un guerrier la pire des humiliations et la signature d'un arrêt de mort !  Les épopées et le folklore kirghizes abondent de récits où le cheval transmet une « force invincible » à son maître, à l'exemple de Tchal-Kouyrouk.

Fin du communisme

Les proverbes kirghizes octroient une grande place à l'animal. L'un d'eux dit qu'« avec ton père tu connais le peuple, avec ton cheval tu connais le territoire », un autre que « les chevaux sont les ailes de l'homme ». Dans ses notes de voyage (1960), Víctor Itkovich en relève d'autres : « S'il ne te reste qu'un jour à vivre, passe la moitié de celui-ci en selle ! », et « Seuls un cheval et une conversation agréable peuvent raccourcir un long voyage ». En cas de compensation matrimoniale (kalyn), il est fréquent d'offrir un cheval à la belle-famille, et habituel de lui fournir de la viande de cheval et des abats pendant la cérémonie de noces. Les chevaux sont aussi utilisés dans le cadre de rites de passage et de fêtes calendaires, des tradition anciennes qui ont connu un renouveau avec la fin du communisme.

Symbole d'identité nationale

D'après Carole Ferret, auteur (et traductrice) de plusieurs ouvrages sur les chevaux d'Asie centrale et de l'empire soviétique, les autorités kirghizes ont, tout comme les Russes, les Iakoutes et les Turkmènes, instrumentalisé les races de chevaux à des fins identitaires.
Le pays s'ouvre au tourisme équestre
Le pays s'ouvre au tourisme équestre
Les Russes ont tenté une réappropriation de la race locale Kirghize à travers la création du Novokirghiz : elle voit dans ce processus la volonté de produire un « cheval nouveau pour un homme nouveau ». L’existence d’une race équine nationale devient un critère de définition de la communauté humaine du Kirghizistan, et ce au même titre que la langue et le territoire.

L’élevage équin en Kirghizie

On dénombre six races différentes élevées actuellement ou par le passé dans ce pays : le cheval du Don, le Kirghiz, le Novokirghiz, l'Oryol, le trotteur russe et le Pur-sang. L'élevage est essentiellement extensif et les chevaux sont toujours bien traités : dans ce pays, celui qui frappe son cheval sur la tête ou qui le fait travailler jusqu'à épuisement est mal vu ! Les remèdes traditionnels sont encore utilisés, mais les Kirghizes ont adopté les vaccinations et la médecine vétérinaire, qu'ils ont découvertes à l'époque communiste.

Un mode d'élevage pastoral et nomade

Pendant la saison chaude, les animaux de travail sont entravés ou attachés à un piquet à l'extérieur lorsqu'ils ne sont pas utilisés, et ce afin d'éviter qu'ils ne partent trop loin. Lorsqu'un cheval a été soumis à un effort, il est toujours mis à l'attache, et généralement recouvert d'un tapis pour éviter qu'il ne prenne froid. Le cheval est gardé à l'attache quelques heures le temps de se reposer, puis relâché.Pendant leur pacage libre, les juments (généralement de 10 à 15) sont gardées en troupeau avec un unique étalon, et mises à l'attache cinq à six fois par jour pour la traite.

Vols de chevaux

La nuit, tout le troupeau est remis en liberté. Il faut aller le chercher à cheval et le regrouper au matin, pour la première traite, qui est généralement effectuée par les femmes et les enfants. Les troupeaux qui n'ont pas de traites sont généralement beaucoup plus importants et gardés en estive en totale liberté pendant l'été, les éleveurs vérifiant les éventuelles attaques de loups et les vols un jour sur deux.
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Le jeu du bouzkachi est pratiqué partout en Asie Centrale @Blog Cheval d'Aventure
Le vol de chevaux est un important problème culturel au Kirghizistan. Les troupeaux pouvant se déplacer assez loin, les éleveurs s’entraident pour repérer les bêtes qui appartiennent aux gens du village. Pendant la saison froide, en fonction de l'intensité des intempéries, les chevaux sont gardés en pacage libre ou rentrés et nourris au foin, ou aux céréales pour ceux qui travaillent le plus.

Jeux Mondiaux Nomades au Kirghizstan

Depuis 2014, les Jeux Mondiaux Nomades ont lieu tous les deux ans au Kirghizistan, à Tcholpon-Ata, station balnéaire située sur la rive du lac Issyk-Koul.  Destinés à célébrer l’esprit et le mode de vie nomade, les Jeux Mondiaux Nomades attirent une foule venue de toute l’Asie, mais aussi du monde entier. L’édition 2018 a vu les choses en grand puisque 60 nations (soit presque tous les pays situés sur la Route de la Soie) sont attendus dont la Turquie, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, la Mongolie, la Chine…
Pas moins de 25 sports traditionnels issus de la culture nomade, du Bouzkachi au Salbuurun en passant par le Toguz Korgool ou la chasse à l’oiseau de proie kirghize, seront au programme. Sans oublier, bien sûr, diverses manifestations culturelles comme la danse, la musique, le tir à l’arc…

Un événement fédérateur

Selon le Premier ministre Sapar Isakov, ces  jeux  représentent  « une occasion unique de renforcer le dialogue interethnique  et  interculturel  des peuples, et participent à donner un élan supplémentaire à la coopération mondiale ». Ce bel événement culturel et sportif devrait donc aider à améliorer les relations entre les différents pays participants, pas toujours au beau fixe…

Le jeu du baiser

Les pratiques équestres du Kirghizistan sont essentiellement des courses, des jeux et des divertissements. L'ulak tartyš ou kok-boru (noms locaux du  bouzkachi) s'est maintenu pendant la période communiste et connaît un renouveau.
L e jeu du baiser
L e jeu du baiser
Le Kyz kuu, localement nommé Kyz kumaï, est également un jeu équestre populaire et romantique, au cours duquel un cavalier et une cavalière s'affrontent sur une distance de 300 m, l'enjeu étant pour l'homme le droit de voler un baiser à la femme, qui peut ensuite le poursuivre en lui assénant des coups de fouet.

Habileté et rapidité à cheval

La lutte à cheval, Er Enish ou Oodarysh, fait partie des disciplines des Jeux mondiaux nomades. Elle est considérée comme un sport kirghize national, puisqu'elle est pratiquée depuis des siècles dans les camps nomades. Le but est, pour chaque cavalier, de jeter son opposant à terre.
Le Tiyin ainmey est une compétition d'habileté : une pièce de monnaie (remplacée désormais par un fanion en tissu dans la forme moderne) est posé au sol et les cavaliers doivent le plus vite possible aller le ramasser en se baissant. 
Le harnachement et les outils équestres traditionnels des Kirghizes comprennent le kamtcha (fouet ou cravache), la bride, et des éperons de différentes tailles et différentes formes, déconseillés au débutants. Les chevaux sont souvent recouverts d'un caparaçon brodé et d'une couverture. La selle est considérée comme un objet très précieux, car son acquisition est souvent onéreuse.

Les Baïge, ou l’endurance à la kirghize !

Les courses de chevaux sur longue distance, dites baïge (ou bäjge) connaissent un développement important depuis les années 1990. Celles qui sont organisées dans le cadre des festivals At čabyš créés sous l'impulsion de Jacqueline Ripart, sont relativement influencées, dans leur règlement, par les courses d'endurance occidentales.
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Au galop dans les montagnes du Pamir @Blog Cheval d'Aventure
En effet, seuls les cavaliers adultes sont autorisés à participer, des contrôles vétérinaires sont prévus et des prix remis pour les chevaux ayant la meilleure condition physique, pour éviter la mort de montures pendant les compétitions.

Le goût du koumis (lait de jument)

Les juments kirghizes font d’excellente laitières et comme dans la plupart des pays à peuplement turco-mongol, la consommation de lait de jument est traditionnelle au Kirghizistan. Elle a connu une hausse de popularité importante depuis la fin du communisme. Les Kirghizes consomment ce lait frais ou fermenté, mais une croyance populaire veut qu'il faille avaler ce lait encore chaud juste après la traite pour qu'il conserve toutes ses propriétés !

Aïtmatov, célèbre écrivain kirghize

Si vous êtes féru de littérature, vous connaissez sans doute Tchingiz Aïtmatov, le plus connu des écrivains kirghizes. Ce membre de l’Union des écrivains soviétiques a vu plusieurs de ses œuvres adaptées au cinéma par des réalisateurs comme Mihalkov ou Chamchiev. Son roman le plus connu, « Djamila », a été traduit en français par Louis Aragon qui l’a qualifié de plus beau roman d’amour !
Sources : Jean-Louis Gouraud (Hippomanie, éditions Favre), Elise Rousseau (Tous les chevaux du monde, éditions Delachaux et Niestlé), Carole Ferret (Une civilisation du cheval : Les usages de l'équidé de la steppe à la taïga, éditions Belin), article Wikipedia "Cheval au Kirghizistan".

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