La fantasia : une tradition équestre d'inspiration guerrière
Encore aujourd’hui, dans les pays du Maghreb, impossible d’échapper à la fascination qu’exerce la légendaire fantasia... Une tradition équestre qui met à l’honneur les races d'Afrique du Nord.
Un simulacre équestre de combat
Vivant symbole d’une équitation ancestrale et spectaculaire,
la fantasia reste auréolée de mystère. Elle se pratique traditionnellement sur des chevaux Barbes ou Arabes-Barbes.
L’écrivain Jean-Louis Gouraud a
consacré quelques pages à la fantasia dans son passionnant ouvrage « Petite géographie
amoureuse du cheval ». Voici ce qu’il en dit, la rapprochant d’une autre tradition
équestre d’inspiration guerrière : la djighitovka du Caucase.
« Le mot, d’abord. On ne sait pas très bien d’où il
vient. Ce n’est pas, en tout cas, celui qu’utilisent ceux qui la pratiquent (de
nos jours, au Maroc, on préfère le mot tbourida). Pour les auteurs d’un des
rares livres consacrés à L’Art de la fantasia, « ce terme trouve
vraisemblablement son origine dans un sabir utilisé en Afrique du Nord, à base
de français, d’italien, d’espagnol et d’arabe ». Il serait intéressant de savoir, aussi, d’où vient le mot
sabir – mais cela nous éloignerait de notre sujet.
Au moins le mot fantasia
est-il bien choisi. Il évoque, en effet, quelque chose de joyeux, de festif, de
fantaisiste- ce qui est tout à fait le cas de cette exhibition équestre, qui se
joue sur une très courte distance (150 à 200 mètres suffisent) et consiste – en
gros – à lancer son cheval, départ arrêté, à vive allure, à lui demander une
accélération foudroyante, pour l’arrêter pile en bout de piste, au pied des
spectateurs médusés.
On agrémente l’exercice de quelques gesticulations aussi
spectaculaires et, depuis l’invention du fusil à poudre, aussi bruyantes que
possible. Lorsqu’on est en groupe - une dizaine de cavaliers constitue
déjà une belle sorba -, tout l’art consiste à faire « parler la
poudre », comme on dit dans les westerns, d’une seule voix. Tous les
cavaliers sont priés de décharger leurs pétoires simultanément. Mais il est des
régions d’Afrique du Nord où l’on préfère le sabre au fusil. Il faut alors le
faire tournoyer de la manière la plus acrobatique possible autour et au-dessus
de soi.
Il existe toutes sortes de fantasias. Dans l’est de
l’Algérie, elle se pratique individuellement, et offre alors l’occasion de
montrer l’habileté du cavalier à manier le sabre, l’épée ou le fusil – parfois
même les trois à la fois. Cela peut alors ressembler beaucoup à la djighitovka. Dans cette région, la monture utilisée est généralement une
jument dont la croupe, par pudeur, peut-être ( ?), est recouverte d’un
tissu aux couleurs chatoyantes qui descend jusqu’à mi-jarrets. Plus à l’ouest,
les fantasias sont plutôt collectives, et on y utilise plutôt des chevaux
mâles.
Dans une (excellente) biographie d’un des personnages les
plus pittoresques du Second Empire, Edmond Jouhaud cite un témoin de ce qui
fut, peut-être, la plus grande fantasia de tous les temps, organisée le 18
septembre 1860, à l’occasion de la visite de l’empereur Napoléon III en
Algérie. Voici ce témoignage : "La vaste plaine qui s’étend sous les
yeux des spectateurs est muette… Tout à coup débouche une caravane avec ses
troupeaux et son escorte. Simulant l’attaque de cette caravane, des milliers
de cavaliers (vous avez bien lu : des milliers – on a parfois dit dix
mille ! ) se ruent sur elle et tournoyant au galop et en déchargeant leurs
armes ; ces longs fusils plaqués d’argent ou de corail ; ces chevaux
alertes carapaçonnés de housses de soie de couleurs variées ; ces hautes
coiffures noires en plumes d’autruche – attribut des guerriers – couronnant la
tête des plus braves ; ces femmes, du haut de leurs palanquins hissés sur
des chameaux, simulant l’effroi et poussant des cris sauvages ; cette mise
en scène, à la fois grandiose et bizarre, vrai décor d’opéra, décuplé cent fois
par le nombre des acteurs, tout cela produisit sur l’esprit de Leurs Majestés
un étonnement indicible ».
Jeu viril par excellence, la fantasia est réservée,
naturellement, aux messieurs. Mais on commence à voir quelques équipes
féminines percer, au Maroc en particulier, qui est aujourd’hui le pays arabe où
la fantasia est la plus pratiquée, la plus encouragée et la plus codifiée. Des fantasias y sont régulièrement organisées, de nos jours
encore, un peu partout dans le pays, en particulier à l’occasion des moussems,
rassemblements festifs dont le prétexte est souvent la célébration du souvenir
d’un saint local.
Si les pouvoirs publics encouragent – et encadrent – ces manifestations, ce n’est pas seulement pour
mieux les contrôler. C’est aussi parce qu’elles permettent le maintien de
traditions dont la vivacité constitue indéniablement un puissant attrait touristique,
et surtout parce qu’elles fournissent un prétexte aux gens de la campagne pour
continuer à élever des chevaux : de bons chevaux, capables de briller sous
la selle de leurs cavaliers enturbannés. On a bien compris au Maroc que la seule vraie sauvegarde du
cheval, c’est son utilisation. Le jour où l’on cessera d’organiser des
fantasias, le cheval – barbe et arabe-barbe, en particulier – disparaîtra du
paysage »
La première narration d’une grande fantasia au Maroc par un Occidental est celle que reproduit Louis Mercier en appendice à sa traduction de La Parure des cavaliers et l’insigne des preux, qui est un peu la bible de la spécialité. Il s’agit d’un gros traité de furusiya (par ce mot, il faut entendre l’ensemble des connaissances des Arabes en matière d’équitation, d’hippologie et d’hippiatrie), rédigé au 14ème siècle de notre ère par un certain Aly ben Abderrahman ben Hodeil el-Andalusy à la demande du sultan et roi de Grenade.
Publiée en 1924, cette traduction est accompagnée d’un important appareil critique, et notamment du récit que fit un certain James Rilley, capitaine d’un brigantin américain ayant fait naufrage en novembre 1815 au large de Mogador (aujourd’hui Essaouira), d’un rassemblement de « treize à quinze cents chevaux arabes, aussi légers que le vent et plein de feu », que l’on soumettait, par vagues de 100, à des charges de cavalerie qui ressemblent beaucoup – mais en plus grand – aux fantasias d’aujourd’hui.
Le témoin y vit une sorte de simulacre de bataille : « Une espèce de petite guerre au combat simulé ». Il y a de cela, en effet, confirme Louis Mercier. « Toute la conception de la guerre, écrit-il, toute la tactique du Bédouin, tient dans la formule el feerr ul ferr, la charge, et le repli brusque, la fuite simulée », dont la fantasia est une sorte de parodie, d’illustration ludique.
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Partez au Maroc, pays de la fantasia, avec Cheval d'Aventure