Emile Brager : on the road again !
On the road again !
Véritable légende vivante en France parmi les grands cavaliers voyageurs, à 60
ans passés, Emile Brager est reparti pour deux ans de périple équestre aux États-Unis
et au Canada avec… trois mules.
La bible des cavaliers randonneurs
Il est l’auteur de Techniques du Voyage à Cheval,
véritable « bible » des cavaliers randonneurs, et l’un de
nos plus fameux voyageurs à cheval…
Emile Brager est reparti en 2019 pour de
nouvelles aventures équestres sur le continent nord-américain, avec trois mules.
L'amoureux de ce qu'il a toujours appelé "l'équitation buissonnière" compte rentrer « pour de bon » seulement en 2021, mais il a tout
de même fait un aller-retour en France à l’occasion de la dernière assemblée
générale de l’association des Cavaliers Au Long Cours (CALC). Une AG hors du commun, où chacun dort sous la tente et où beaucoup d’adhérents viennent… à cheval !
C’est son ami Stéphane Bigo, autre grand cavalier voyageur mais aussi membre et cofondateur de l’association, qui a bien voulu nous raconter de sa plume alerte les retrouvailles de tous ces Cavaliers au long cours - et nous transmettre, en exclusivité pour le Mag des Cavaliers Voyageurs, les dernières nouvelles du grand cavalier moustachu !
Une AG où l'on vient à cheval !
L'assemblée générale de l'association des Cavaliers au long
cours s'est tenue à Verteillac en Dordogne, du vendredi 1 au dimanche 3
novembre. Dit comme ça, l'annonce paraît anodine, mais déjà, 3 jours pour une
assemblée générale, est-ce normal docteur ? En général, une AG est torchée en
un après-midi, non ? Et est-ce habituel que pour une AG, 75 personnes, soit la
moitié des membres de l'association répondent "présent" ? Et que la
plupart dorment sous la tente, sous la pluie et dans le froid ? Et que certains
viennent à cheval ? Et qu'il y a plein de nouveaux membres, des jeunes en
particulier ?
"L'Emile" et ses bacchantes
En fait l'AG ne prend que peu de temps, c'est le reste qui compte. On y vient pour
les présentations, les échanges techniques, les grandes conversations
informelles, les soirées où l'un des membres raconte son voyage, bref pour la
chaude amitié. Émile était là justement
ou plutôt "l’Émile », moustachu (ah les belles bacchantes !),
cofondateur et père spirituel de l'association. Ses quatre années de traversée du
continent américain (plus le reste) sont loin de l'avoir rassasié.
Accro aux mules aux longues oreilles
Maintenu de
longues années à résidence par un projet de ferme muletière (Émile est accro à
ces longues oreilles et à leurs braiments mélodieux) et par ses obligations
familiales (il n'a pas élevé que des mules !), il ronge son frein mais les
poils grisonnent et les gamins grandissent. Et quand il nous parle de ses
projets de voyage, on n'y croit plus trop.
Mais à 60 ans et quelques, une fenêtre s'ouvre. On s'aperçoit que la flamme est
là, intacte. Le voilà reparti pour 2 ans, aux États-Unis et au Canada.
Visiblement, il a envie d'en découdre.
Lorsqu'il est revenu à l'AG pour voir
ses enfants et sa famille cavalière, il s'était déjà procuré 3 mules avec
lesquelles il avait parcouru 1.800 km. Rien que ça.
Mais tout n'est pas rose dans l’univers des cavaliers au long cours. Rien à
voir avec des vacances. Écoutons ce qu'il raconte. Son mail date du 20 novembre.
En exclusivité pour le Mag des Cavaliers Voyageurs
"Bonjour à
tous et à chacun, Pour ceux qui n'étaient pas à
l'AG de Dordogne, voici quelques nouvelles fraîches : mon équipe est en ce
moment au Dakota du Nord, il y fait -15 ° au petit matin. Depuis
l'Idaho, nous avons traversé 3 chaînes de montagnes et avons débouché dans les
grandes plaines : la steppe à l'infini, des grandes cultures ou des vaches en
élevage extensif. Je suis passé un peu loin pour pas avoir à me faire courser
par une cow trop maternelle ou un bull susceptible. Très peu d'arbres, un ranch
tous les 10 à 40 km. Parfois des difficultés à trouver l'eau. Encore et
toujours du gros gibier, chevreuils et antilopes, des coyotes, des bisons dans
un parc national, avec le premier voisin à 2 jours de cheval. Une paix royale. J’en étais resté a une tentative
de ''civilisation'' de mes trois mules. Après quelque 1800 km, elles ne
travaillent maintenant plus sous le stress et ont enfin révélé qui elles sont
et ce qu'elles peuvent donner.
Vie sauvage et Amérique profonde
Pas réjouissant à vrai dire. Autant mes objectifs
de vie sauvage, de paysages et de rencontre de l'Amérique profonde sont remplis
au delà de mes espérances, autant la relation avec mon équipe est
insatisfaisante. Jojo a été bon, il est fiable
mais il se fait vieux et se découvre parfois une mentalité de fonctionnaire de
l'équipement : il ne perdra jamais ni du poids ni son sang-froid, il travaille
sur la route mais ne loupe aucun lieu de bivouac possible, même au milieu de la
matinée. Au delà de 30 km/jour, il me fait comprendre que ça suffit s’il veut
profiter de sa retraite !
50 km par jour
Jack tient étonnamment bien le bât malgré son dos rond mais il reste grognon.
Il ne supporte pas les caresses, porte d'entrée facile mais non utilisable chez
lui.
Sally est physiquement une machine de guerre capable de tomber avec
aisance 50 km/jour pendant 15 ans mais elle n'a confiance en rien ni
personne et surtout pas en elle- même. Elle est capable d'exploser n'importe
quand. Elle m'a mis gravement en danger 5 fois et même si ce n'était jamais
contre moi, c'est cinq fois de trop. La moindre fracture au milieu de nulle
part peut prendre des proportions dramatiques.
Survie potentielle en hiver
Et je suis souvent très isolé. Et l'hiver arrive avec son lot
d’intempéries, de survie potentielle, de cavalier centré sur lui même,
engourdi, peu réactif ou peu présent.
Avec la neige mouillée et deux
emballements terriblement dangereux en bord de route, entre goudron, fossé
plein d'eau et barbelés, je me suis bien trempé. J'ai mis 3 jours à me
réchauffer. J'avais froid au lit et sous la douche...
Il faut donc prendre des
décisions. Je cherche à vendre Sally avant
qu'il ne soit trop tard et à acheter une jument de selle capable de me tirer
les deux autres. L'ambiance générale risque de changer. Je serai moins ''celui
qui oblige''.
Sous la tente ou dans les ranchs
Après un séjour en France où je
me suis senti décalé, me voilà de retour dans les plaines. Si je ne trouve pas
maintenant, je continue vers le Nord en cherchant, au fur et à mesure des
rencontres. Il y a beaucoup de chevaux qui ne font rien. Je finirai par
trouver.Je suis à 10 jours du Canada, de
plus en plus dans les ranchs pour nourrir fort et abreuver mon équipe, et pour
m'éviter de monter la tente (beaucoup de travail pour 5° de mieux que dehors,
autant dormir et seller sous un hangar !).
Bâter léger
Et je me confronte à l'hiver qui
est sérieux dans ces étendues plates abritées des influences tempérées du
Pacifique par les Rocheuses. Objectif : les grignoter à l'usure, viser 20 km et
un itinéraire simpliste, s'assurer avant de partir que je vais rencontrer un
ranch où un village, surveiller la météo, refuser de démarrer en cas de neige
qui pourrait me faire perdre mes repères, avoir de la nourriture et du grain,
être bien équipé en vêtements (ici, c'est assez facile à trouver), bâter léger
pour ne pas avoir à faire de pause à la mi-étape, partir sec, chaud et le
ventre plein (ça, je sais faire, j'ai pris 5 kg en 4 semaines... l'hiver se
chargera de ma ligne !).
Donc, nous y
sommes. Si l'hiver est trop difficile pour moi, la planète ne s'arrêtera pas de
tourner. Je saurai si je reste faire du woofing dans un ranch ou si je rentre
hiverner en France.
Une société dans l'excès
Je pourrais
aussi vous parler de la société américaine. J'ai rencontré une quantité de
braves gens, capables d'enthousiasme et de coups de main. Par contre, la
société elle-même, hé bé, je ne suis pas convaincu. Je vois tout ce que je ne
veux pas, ni pour moi, ni pour la planète. Tout est dans l'excès. Les premières
semaines, on est impressionné. Ensuite, on se fait violence pour ne pas
exploser, donner des leçons ou ricaner. Mais ceci est un autre sujet.
Et si vous voulez artificialiser
un voyage, mettez-vous ou laissez-vous mettre sur Facebook. Le mal est fait pour moi. Je suis
devenu ''famous''. Ça a grossi comme un chou-fleur. Les gens
m'interpellent, s'arrêtent au milieu de la rue, posent les questions dont ils
connaissent les réponses, imposent leur selfie, m'emmènent leurs enfants comme
si j'étais Jésus-Christ. Ce comportement est significatif d'une capacité
d'enthousiasme, certes, mais aussi d'une société qui s'emmerde grave et a
besoin de vivre par procuration.
Célèbre grâce... ou à cause de Facebook
Seule une nénette est descendue de voiture, a
attendu son tour et a dit ''s'il vous plaît'' puis ''merci'' en partant pour me
rattraper un peu plus tard avec de quoi me désaltérer. Je l'aurais embrassée !
Je ne l'ai pas fait mais le ''lonesome cowboy ; a long way from home'' que
je suis se sent parfois seul...Avantages de la célébrité, ça
éloigne les flics, ça rassure les ''tiny balls'' derrière leur fenêtre et ça
favorise l'accueil et le coup de main. Certains restent dans cette admiration
enfantine béate, d'autres plus efficaces changent rapidement de registre pour
passer dans l'accueil de l'étranger et c'est là que ça devient intéressant
parce que plus profond, plus adulte.En hiver, ça deviendra
probablement précieux. À la frontière aussi. Affaire à suivre, donc.
Avec mes amitiés
Émile. »
(Propos transmis par Stéphane Bigo., que nous remercions).
Photo édito : © Elsa Gautherot
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