Immersion en culture camarguaise
Il faut quitter la route pour découvrir l'âme
de la Camargue. C'est précisément ce que nous avons fait en rencontrant
Françoise Peytavin au cœur de sa manade Camarguaise. Elle nous raconte ses
souvenirs de cavalière, autour d'un verre de vin rosé à l'ombre des anciennes
écuries.
50 ans de manade !
Lorsqu'elle est venue pour la première fois
passer quelques jours de vacances à la manade, Françoise Peytavin ne pensait
pas devenir un jour éleveuse de taureaux camarguais... Un demi siècle plus
tard, elle et son mari André habitent toujours les lieux. A force de travail,
la manade a bien changé.
Difficile d'imaginer qu'il y a seulement 50 ans,
le marais occupait tout l'espace jusqu'à la route qui borde aujourd'hui la
manade. La cour centrale n'était alors qu'une roselière. "On ne voyait
pas à deux mètres, se souvient Françoise. Au début des années
soixante, un baraquement en bois servait de point de départ aux promenades
à cheval."
A la fin des années 1980, Françoise rachète la
manade pour élever des taureaux camarguais avec André, son mari. Le couple
emménage alors dans les écuries et transforme le bâtiment annexe en gîte pour accueillir
les cavaliers visiteurs. De nouvelles écuries seront bâties plus en retrait.
L'exploitation compte aujourd'hui 120 têtes de bétail parmi les 20 000 bêtes de
race Camargue recensées dans la région. Pour comparaison, la Bretagne a elle
seule compte dix fois plus de bovins ! Chez les Peytavin, la Camargue se
transmet de génération en génération ; si bien que les enfants de Françoise et
André n'ont pas quitté la région.
Aujourd'hui, un fils d'André gère
l'exploitation alors que son épouse dirige le centre équestre et enseigne la
monte camarguaise aux cavaliers. Françoise, elle, guide les visiteurs dans le
marais. A la manade, un tour des marais se termine toujours par un verre de vin
rosé à l'ombre et une dégustation de terrine de taureau faite maison !
A la belle saison, Françoise et André
accueillent toujours avec bonne humeur et naturel les cavaliers venus d'ailleurs pour
partager leur mode de vie et le travail de "cow-boys à la française".
La Camargue prend l'eau
Alors que la mer méditerranée monte, le delta
du Rhône, à l'est du parc régional de Camargue, s'enfonce. L'issue est
inéluctable. "La prairie dans laquelle nous montions ce matin est sous le
niveau de la mer, souligne Françoise. La Camargue finira sous l'eau."
Le trait de côte se modifie et les tempêtes sont de plus en plus violentes. "La montée des eaux est très visible depuis 30 ans
seulement, continue la femme de cheval, dans moins de 100 ans tout
aura changé".
Que deviendront les gardians sans marais ? La Camargue
compte aujourd'hui 140 manades d'élevage de taureaux camarguais et 30 manades
d'élevage de taureaux de combat. Au total, 35 gardians professionnels vivent de
ce métier. Les autres sont des gardians amateurs non moins compétents. Gardians
du dimanche, ils portent une autre casquette dans la semaine et mettent leurs
éperons le weekend pour travailler les troupeaux à cheval.
"J'ai eu l'occasion il y a plusieurs
dizaines d'années de rencontrer les butteri*, raconte Françoise. Nos
traditions équestres sont très proches. C'est un peu la Camargue en négatif."
Les taureaux camarguais sont noirs alors qu'en Toscane ils sont blancs. A
l'inverse les chevaux camarguais sont blancs alors que les robes des chevaux
des butteri sont baies.
Un tempérament de gardians
A Saliers, commune où sont installés Françoise
et André Peytavin, le premier weekend d'août est un moment de fête. Les camarguais, toutes générations confondues,
sont très attachés à leurs traditions. L'abrivade**, qui consiste à encadrer un
groupe de taureaux à cheval pour les conduire aux arènes ; et les courses
camarguaises continuent d'attirer les foules. La fête annuelle de chaque
village est donc l'occasion pour les éleveurs de montrer leurs taureaux et
pour les cavaliers, de rivaliser d'adresse.
Avant l'arrivée des camions pour transporter
le bétail, les abrivades duraient deux à trois jours. En selle, les cavaliers
menaient les taureaux attendus pour la course à travers les marais, jusqu'aux
arènes du village en fête. Les gardians faisaient halte pour la nuit dans un
Mas alors que les bêtes attendaient dans le coral. "Juste avant
l'arrivée au village les cavaliers abrivaient (éperonnaient) leurs montures
pour traverser la foule au grand galop, raconte Françoise avec
enthousiasme". Les jeunes du village jouaient leur rôle et tentaient de
percer l'escorte serrée formée par les gardians pour laisser échapper les
taureaux. Tous les coups étaient permis. "Les jeunes habitants du
village utilisaient des bâches en plastiques pour faire peur aux chevaux,
allumaient des feux sur les bords de route ou jetaient de la farine au visage
des gardians, ajoute celle qui participait volontiers à ces
abrivades".
L'une d'entre elles, l'abrivade du Cailar
était particulièrement attendue. Françoise y a pris part plusieurs fois. "Je
remplissais mes bottes de coton pour protéger mes jambes, se souvient
Françoise. Après la fête, je ne portais pas de robe pendant plusieurs
semaines pour cacher les bleus !"
Sur la ligne de départ, Françoise était l'une
des cents cavaliers en selle dans l'herbage des taureaux. La foule rassemblée
déjeunait de grillades. Pour rassembler les taureaux, les gardians jouaient
déjà des coudes et des étriers. Il fallait du courage et de la détermination
pour se tailler une place parmi les huit finalistes qui franchiraient le
village en encadrant les taureaux !
Le taureau camarguais, au travail comme à la
fête
André, le mari de Françoise, se réjouit
toujours aujourd'hui de voir ses taureaux dans l'arène lors des courses
camarguaises. Si les cavaliers qui participent aux abrivades offrent un
spectacle impressionnant, les deux gardians qui se placent au centre de la
piste face au taureau pour l'attente au fer forcent l'admiration.
"C'était la spécialité des hommes de la
famille", explique Françoise devant une photo de son mari en pleine
action. Il faut imaginer le sang froid de ces hommes. A pied,
jambes fléchies, en appuis dans leurs bottes de gardians, au cœur de l'arène
baignée de poussière et de chaleur, ils les lisent les intentions d'un
taureau de 500 kilos prêt à charger. L'attente au fer consiste à
s'opposer à la charge du taureau armés seulement d'un trident de fer au bout
d'un bâton... Si l'action est bien menée, l'animal apprendra qu'il doit
respecter le gardian à pied. Pourtant, à la moindre erreur, à la moindre
hésitation, au moindre faux pas, l'issue sera dramatique.
Le public aime l'attente au fer et la foule des
arènes retient son souffle devant les deux gardians. A quelques mètres
seulement, sous les regards, deux hommes s'apprêtent à corriger un taureau
récalcitrant, qui ne veut pas rentrer au char ou au toril, par exemple. Dans
les valeurs de ce geste technique vit l'âme de la Camargue, la culture des manades
et l'histoire des gardians.
*: peuple de gardians italiens
**: abrivade - Vient du terme provençal abriva qui
signifie accélérer, précipiter.
Rejoignez Françoise au cœur du delta du Rhône et découvrez une manade authentique pendant un séjour à cheval en Camargue
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