Fabrice Henry, vivre une vie de cow boy en France

Fabrice Henry, vivre une vie de cow boy en France

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Bercé par un rêve de western depuis son enfance, Fabrice s'est construit un univers de vrai cow-boy en France. Il nous conte son parcours insolite pour bâtir le ranch dont il a rêvé durant de nombreuses années...

Comment est venue cette passion du monde western ?  


Je me suis toujours senti très proche des animaux en général. Avec un rapport encore plus fort aux chiens et aux chevaux. La passion pour les chevaux remonte à mon adolescence. Quelques amis possédaient des chevaux, et j’ai été immédiatement saisi par l’ambiance et les odeurs dans les écuries.
Par manque d’argent, puis de temps, je n’ai jamais pu m’y consacrer, jusqu’à être bien établi dans la vie, et revoir mes priorités.
Un matin d’automne, alors que je me baladais en vélo le long d’un étang en forêt de Rambouillet, je vis une cavalière traverser un petit pont, au-dessus de l’eau qui s’évaporait dans les fougères… Elle était sur un magnifique percheron. Cette image, puissante, tellement noble et proche de la nature, m’a fait réaliser que je devais enfin me lancer dans la grande aventure dont j’avais toujours rêvé.

Quelques temps plus tard, ayant déménagé dans le Gers, j’ai décidé que la seconde partie de ma vie serait entourée de chevaux. Mon premier cheval est un cheval de trait – un shire – que je suis allé chercher dans un élevage à Cotebrook – Cheshire, en Angleterre. Il avait 2 ans. Il en a maintenant 10.
Quand il est arrivé à la maison, je l’ai débourré à pied aux longues rênes, notamment avec un lourd pneu de tracteur attaché aux traits. Je travaillais avec lui la terre des voisins, avec de vieux outils du XIXe siècle, canadienne, faneuse, etc… Je l’attelais de temps en temps à la calèche pour emmener nos enfants à l’école du village, ou lors de balades dominicales dans les jolis vallons Gersois.

Polyvalence d'un cheval de travail @Blog Cheval d'Aventure


Après ces deux années de découverte mutuelle, j’avais de plus en plus envie de monter sur son dos de géant pour parcourir monts et forêt. J’ai alors pris 20 cours d’équitation classique dans un club, dont plus de la moitié avec lui. C’était très impressionnant, car il mesure 1,85 m, et je n’étais monté qu’une fois sur un cheval, quand j’avais 15 ans… soit 30 ans en arrière… Mais il était hors de question que j’abandonne mon rêve de grands espaces à cheval ! J’ai mis à profit l’expérience des deux années à ses côtés, je me suis accroché, et c’est passé. Je me suis acheté une bonne selle, et les randos ont commencé, principalement dans les Landes et en bord de plage.

Pourquoi le Western ?  


Très vite après avoir commencé à monter mon « Gentle Giant », j’ai eu envie de découvrir encore plus la polyvalence des chevaux.
Comme au bon vieux temps, le cheval doit être capable de nous emmener voir les copains, travailler à la ferme, tirer des outils, une calèche, vivre au milieu des enfants et des animaux. Mais la monte Anglaise ne me convenait pas.
La selle, les méthodes pédagogiques, la perspective de passer des années en carrière, les vêtements, l’équipement ne me convenaient pas. J’ai observé plusieurs cours dans différents clubs. Les rênes très ajustées et les claquements de langue à chaque foulée ou presque, je ne comprenais pas. Je voulais juste être « dehors », avec un cheval complice. L’équitation de travail du bétail s’est présentée naturellement.

Alors j’ai évalué la monte Camarguaise, la monte Espagnole, et finalement l’équitation western s’est imposée comme une évidence, avec ses chevaux calmes, focalisés, solides, ses selles d’un autre temps, l’ambiance des films western de notre enfance… Et le western offre tellement de possibilités différentes avec ou sans bétail, j’étais certain de trouver mon bonheur ! Travail en extérieur, convoyage, ranch roping, team penning, cattle penning, ranch sorting, reining, cutting, ranch cutting, pole bending, barrel racing, cowboy mounted shooting, horsemanship, etc…
J’ai très vite acheté des quarter-horses et paint-horses, dont certains étaient déjà très performants en compétition, qui m’ont beaucoup appris.  

Travail avec le bétail au centre western @Blog Cheval d'Aventure
Travail avec le bétail au Meynet Ranch en Dordogne @Blog Cheval d'Aventure

Mon premier paint horse n’a pas de gros papiers, mais il a bénéficié d’un super dressage chez un professionnel de renom dans le Lyonnais, Nicolas Doucet. Il est très costaud, sait tout faire, et me permet de soigner des vaches très lourdes car il a la morphologie adéquate.
Mon premier quarter horse est lui issu de deux champions du monde du travail. Il est vice-champion de France de team penning ! Il est très rapide et réactif, et il sait également tout faire dans le bétail, comme les chevaux de ranch qu’on cherche sur les exploitations.

Je me suis perfectionné dans différentes disciplines, et nous avons rapidement gagné nos premiers concours et championnats annuels. (Principalement le cattle penning, team penning, ranch sorting, ranch roping) 

Peut-on commencer le western n'importe quand ? Si l'on est cavalier randonneur par exemple ? 


Oui ! Le western est une monte très intuitive. Sans doute la plus simple pour démarrer à n’importe quel moment. Qu’on soit très (très) jeune, ou déjà un peu rouillé, l’équitation western est sans doute la plus sécurisante.
Des chevaux en principe très bien sélectionnés pour leur mental, des selles encadrantes, des allures de travail confortables…
Le cavalier randonneur est évidemment prédisposé à l’équitation western, notamment dans les épreuves de travail en extérieur. Et pour ceux qui possèdent déjà un bon bagage technique en équitation de quelque horizon que ce soit, la transition est ultra-rapide. Ils mettent rapidement à profit leurs connaissances pour travailler le mental et le physique du cheval dans le bon sens. Le reining est notamment une discipline qui peut être appréciée des cavaliers de dressage, car il y a un gros tronc commun à la base.

Fabrice et son fidèle quarter horse @Blog Cheval d'Aventure
Fabrice et Billy, son solide Paint-Horse @Blog Cheval d'Aventure

Le capital acquis par tout cavalier d’une autre discipline sera loin d’être perdu. Certes nous donnons beaucoup de responsabilités et de liberté surveillée à nos chevaux western – mais par exemple, un cavalier de dressage classique sera peut-être étonné de nous voir détendre nos chevaux avec les mêmes outils que lui (flexions, cessions de nuque-encolure, placés, appuyés, incurvations, contre-incurvations, rassemblés, allègement de l’avant-main etc.). Un cheval est un cheval. Il existe quelques différences entre les races, mais dès lors qu’on connait leur locomotion et leur psychologie, on peut travailler en harmonie.  
On entraîne son physique, pour qu’il soit performant dans le travail à effectuer. Et quand le physique est bon, le mental peut suivre ! 

L’apprentissage a été facile ?  


Comme je me fixe généralement des objectifs élevés, l’apprentissage est loin d’être terminé. Se balader dans des ranchs ou des lieux touristiques sur des chevaux habitués aux débutants, c’est très facile. Monter en carrière et commencer à maîtriser toutes les allures et manœuvres, ça demande pas mal de mental et d’implication. Comprendre les chevaux, apprendre d’eux et leur apprendre, partir n’importe où seul avec son cheval en sécurité – ça demande un énorme engagement et une très grosse dose de passion, parce que ça prend beaucoup de temps, d’argent, du physique, et le voyage est interminable. 

L’apprentissage a été parfois difficile, car impatient de nature, j’étais trop  concentré sur mes objectifs finaux, et j’avais grillé quelques étapes. J’ai dû rebrousser chemin pour consolider mes compétences.
J’ai énormément lu, pratiquement tous les grands maîtres équestres français et américains, passés ou contemporains, et j’ai passé plusieurs mois en stage avec les meilleurs « gens de chevaux » ici et aux US. Et j’ai passé plusieurs mois dans des ranchs pour continuer à découvrir, réfléchir, comprendre.
Parmi mes sources d’inspiration, je citerais des grands connaisseurs de la psychologie équine - et de la monte Américaine : Brock Holbrook, Nicolas Doucet, Luc Giordano, Lyne Laforme, Rick Gore, Carson James, Buck Brannaman, Martin Black, et pas mal d’amis ranchers qui travaillent tous les jours à cheval parce que c’est la seule solution – et ils n’en veulent surtout pas d’autre ! Maintenant je sais mieux me satisfaire du moment présent, et sans perdre de vue mes objectifs, j’accepte d’emprunter les chemins tortueux qui y mènent – en essayant de mélanger subtilement exigence et rythme du cheval.
Je suis aussi convaincu que j’ai pu atteindre un niveau acceptable assez rapidement, parce que l’équitation dans le bétail accélère énormément la courbe pédagogique. 

Travail avec le bétail dans son ranch @Blog Cheval d'Aventure
Fabrice et Cooper, son fidèle Quarter-Horse – Travail avec le bétail dans le ranch d’un ami@Blog Cheval d'Aventure

Très vite, pour des raisons de but, de concentration sur une tâche à accomplir, de travail dans des troupeaux de bétail, on n’est plus du tout « sur »  le cheval, mais « dans » le cheval. On pense, on décide, et c’est comme si notre cerveau commandait instantanément le corps du cheval.

A ce petit jeu, on construit notre assiette tellement plus vite que pendant des reprises traditionnelles en carrière ! J’ai vu plusieurs fois de purs débutants qui n'avaient  jamais mis les fesses sur une selle, passer une semaine dans des ranchs, à travailler au milieu des troupeaux, sans jamais tomber. A la fin de la semaine, tous pouvaient trotter et galoper raisonnablement. En termes d’équilibre, une semaine dans un ranch vaut sans doute plusieurs mois d’entraînement dans un rectangle de sable… Cette équitation peut être simple, intuitive, et vraiment ludique.  

Un souvenir de moment difficile ?


J’ai tendance à oublier les moments pénibles. Mais il y a un élément qui m’a souvent frustré pendant les premières années... Souvent, dans le milieu du cheval, moins les gens ont de connaissances, plus ils essayent de les étaler et de vous apprendre des choses.
Du coup, quand on cherche des repères et qu’on échange, chacun semble avoir un point de vue différent, voire très opposé. Les gens critiquent et remettent tout ce que font les autres en question – nourrissant l’illusion que cela les rend plus crédibles, ou compétents. 

J’ai mis un certain temps avant de comprendre que je trouverais les  bonnes réponses en observant les gens de chevaux qui parlent moins, et en passant tout simplement du temps à écouter mes chevaux


Un souvenir marquant ? 


Difficile de faire un choix. Des centaines de moments ont été très forts. Les premiers contacts physiques avec les chevaux, les premiers galops, les premières randos, les progrès avec des chevaux difficiles, des contrats de confiance réussis sans rênes ni mors, un safari itinérant à cheval au Botswana et des courses incroyables avec les animaux de la savane, mes chevaux qui viennent du fond des prés quand ils me voient…

Fabrice sur son Shire sans mors ni rênes @Blog Cheval d'Aventure

Si je dois en choisir un, c’est peut-être le sentiment de liberté et de plénitude que j’éprouve quand je pars seul à cheval dans l’immensité des montagnes du Nord-Ouest Américain. Des heures, seul avec un cheval, dans des territoires magnifiques et parfois hostiles… une complicité indescriptible se crée. Dans ces moments, loin, très loin de toute vie, et sans aucun moyen de communication, je compte tellement sur mon compagnon pour me ramener à bon port. Et quand je me pose tout en haut de la montagne, je ne vois que la nature à perte de vue, et un ami qui a pris soin de moi, tout en acceptant tout ce que je lui demandais, malgré sa nature d’animal grégaire.
Je mesure alors le chemin parcouru ces dernières années, et je suis tellement heureux de n’avoir rien lâché. Cette relation d’interdépendance avec un animal noble et surpuissant procure un sentiment très particulier. 

Comment tu es passé d'une vie de chef d'entreprise à cow-boy ? 


Après avoir passé 25 ans en tant que cadre dirigeant dans l'une des plus grosses sociétés américaines (UPS), j’ai quitté l’entreprise, récupéré mes billes, et j’ai créé une société, dont s’occupe mon épouse principalement.
Cela m’a donné beaucoup de temps libre pour monter, apprendre le travail des soins au bétail (tri, convoyage, lasso, etc.). J’ai commencé alors à voyager de plus en plus dans des ranchs au Wyoming, Montana, Colorado, Washington.
J’ai aussi traversé de nombreux Parcs Nationaux à cheval, en Utah, Arizona, Nevada, Kansas, Colorado, tels que Grand Teton, Bryce Canyon, Zion, Monument Valley, Grand Canyon du Colorado, Rocky Mountain National Park… J’ai parcouru des milliers de kilomètres à cheval aux USA.

Fabrice Henry à la limite de l'Arizona aux Etats-Unis @Blog Cheval d'Aventure
Fabrice Henry à la limite de l'Arizona aux Etats-Unis @Blog Cheval d'Aventure

Je commence maintenant à être gracieusement invité dans différents ranchs, pour les aider à l’époque des naissances et des convoyages / marquages. C’est bon signe ! Passer le printemps « au cul des vaches » avec les cow-boys me comble, et je n’envisage plus la vie autrement. 

Comment on vit cow-boy en France ou aux Etats-Unis ? 


Plusieurs de mes amis possèdent des ranchs en France. Nous nous retrouvons donc souvent. Il y a principalement deux périodes. Une période de travail, pour convoyer, trier, attraper au lasso, boucler les oreilles, castrer, soigner les yeux, les pieds, vacciner, tester la prophylaxie, rassembler, vendre… Travailler les vaches à cheval au lasso nous évite de les rassembler et les pousser dans des systèmes de contention, qui nous semblent plus stressants. Et dans les grands espaces, c’est aussi une question technique et pratique… il n’y a aucune autre solution, on doit soigner les animaux sur place. Puis, quand les travaux sont terminés et que vaches et veaux sont remis aux prés, on se retrouve pour des compétitions diverses – qui  démontrent la capacité du couple cheval-cavalier à bien gérer le bétail.
Et il existe des dizaines de rassemblements en France, dont certains très importants, où on aime se retrouver autour de shows et de concerts. J’aime ces ambiances simples et chaleureuses. 

Fabrice Henry en compétition western @Blog Cheval d'Aventure
Fabrice Henry en compétition western @Blog Cheval d'Aventure

Pour ce qui est des Etats-Unis, la vie de cow-boy est surprenante pour un non-initié. On est loin de l’image folklorique que certains imaginent. C’est dur. Très dur. Et ces passionnés ne gagnent pas grand-chose. Mais pour rien au monde ils ne changeraient de métier.
Il existe des centaines de ranchs aux USA, dans lesquels les cow-boys travaillent exclusivement à cheval, car les territoires sont immenses et surtout impraticables avec quelque engin motorisé que ce soit.
La taille des ranchs sur lesquels je « travaille » varie de 3.000 à 35.000 hectares.
Les journées sont très longues et fatigantes. Les saisons peuvent être très marquées. L’Ouest est souvent en altitude, même les plaines, et les variations climatiques sont permanentes et importantes. Il neige beaucoup, il fait froid, et souvent jusqu’au mois de Juin. Mais parfois c’est un soleil de plomb qui vient tirer sur les organismes.
Avant de pouvoir écouter la guitare sous les étoiles au coin du feu, il faut faire face à de multiples épreuves au quotidien. Les cowboys travaillent avec du vivant, imprévisible, et des éléments extérieurs souvent contrariants.
Le terrain, la météo, la faune sauvage et agressive (loups, pumas, ours bruns, grizzly, serpents à sonnette, chacals…), les blessures de chevaux ou les souffrances physiques trempent le caractère des cow-boys.

Travail avec les cow-boys dans le Wyoming @Blog Cheval d'Aventure
Travail avec les cow-boys dans le Wyoming @Blog Cheval d'Aventure

Quand on rassemble et qu’on convoie des centaines ou des milliers de vaches et veaux pendant plusieurs jours, il n’est pas question de s’arrêter longtemps en route parce qu’il pleut, ou qu’on est malade, ou qu’on a mal quelque part… sinon on perd tout le troupeau assez rapidement. Et de toute façon, on n’a souvent aucun recours à proximité. Alors ce sont des gars qui vont de l’avant, toujours de l’avant, en serrant les dents.
Et quand ils peuvent enfin se reposer, il règne un esprit de convivialité, d’entraide, toujours humble et rassurant.
On pourrait tenter de résumer la philosophie des cow-boys en utilisant leur code de l’Ouest : 
  1. Vis chaque jour avec courage
  2. Sois fier de ton travail
  3. Termine toujours ce que tu commences
  4. Fais ce qui doit être fait
  5. Sois dur, mais juste
  6. Respecte ta parole
  7. Sois fidèle à la marque
  8. Parle moins et dis-en plus
  9. Souviens-toi que certaines choses ne sont pas à vendre
  10. Sache où fixer les limites  

Qu'est ce que cela a changé pour toi, qu'est ce que le monde western t'apporte ? 


C’est un rêve éveillé. Ma grand-mère m’avait offert ma première paire de Go West en 1980 et mes premières santiags en 1982… 35 ans plus tard, je suis toujours en jeans, bottes, chemise, et bien souvent avec un chapeau sur la tête. J’ai roulé très longtemps en Harley, mes écuries ressemblent à un barn américain, et je roule en Ford F-250, comme là-bas. C’est ma seule voiture. 

J’ai toujours été attiré par la culture américaine. Sa musique, ses voitures, ses motos, ses films, son patriotisme, son pragmatisme, ses espaces magnifiques, ses parcs nationaux…
Pouvoir vivre avec des chevaux, tout en comblant mon attirance envers les animaux et les USA… je suis très très chanceux ! 

Quels sont tes projets ? 


Ce ne sont pas encore des projets, seulement des rêves sur lesquels je me surprends parfois à flâner… J’aimerais parcourir la Mongolie sur leur formidables chevaux, travailler dans une ferme Argentine avec les fameux criollos, traverser le Yukon à cheval et canoë. Mais par-dessus tout, je rêve de trouver la bonne idée pour déménager toute ma petite tribu, et vivre dans un ranch du Nord-Ouest Américain…    

Travail avec le bétail aux Etats-Unis @Blog Cheval d'Aventure
Travail avec le bétail aux Etats-Unis @Blog Cheval d'Aventure


Merci à Fabrice Henry pour s'être livré dans cet interview !

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