Randonner avec un cheval pieds nus, c'est possible !

Randonner avec un cheval pieds nus, c'est possible !

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Marie Halicki, enseignante BPJEPS en tourisme équestre, ne ferre plus ses chevaux de randonnée depuis 8 ans. Elle nous explique les avantages d’avoir un cheval d’extérieur pieds nus, mais n’hésite pas à mettre en garde contre les dogmes et invoque la nécessité d’un bon suivi professionnel. 

Parage plutôt que ferrage 


Marie Halicki, 29 ans, est une randonneuse équestre avertie. Elle chevauche sur les sentiers de La Réunion, son île natale, et de la France métropolitaine, où elle est venue habiter en 2010, depuis plus de 15 ans.

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Deux chevaux et un chien, merveilleux compagnons de rando - Photo Marie Halicki

Jusqu’à son départ de l’île, elle montait ses chevaux ferrés, « comme tout le monde ». Pourquoi avoir modifié ses habitudes ? Tous les chevaux, et tous les cavaliers, peuvent-ils « passer aux pieds nus » ? Trois mois avant son prochain voyage à cheval dans les Alpes en autonomie, elle a répondu à nos questions :  


Ne pas ferrer un cheval qui travaille « sur le plat », dans le sable d’un manège ou d’une carrière, peut se comprendre. Mais peut-on vraiment partir en randonnée équestre avec un cheval pieds nus ? 

Mes chevaux n’ont plus jamais été ferrés depuis 2010, or je pratique uniquement l’équitation d’extérieur. L’été dernier, j’ai randonné 3 semaines d’affilée dans les Alpes. Je connais des cavaliers qui ont fait des randos ou même des voyages à cheval de plusieurs mois avec leurs chevaux pieds nus, ou équipés d’hipposandales. Cet été, je compte partir plus d’un mois. L’objectif de mon premier voyage en 2017 était d’ailleurs de me préparer, et de préparer mes chevaux, aux conditions spécifiques à la montagne (gros dénivelés, chemins escarpés etc).

Comment résumer l’avantage des chevaux pieds nus ?

Cela permet le fonctionnement physiologique du pied du cheval, sans contrainte mécanique. Nu, le pied va mieux amortir, mieux gérer la dissipation de l’énergie de l’impact. 

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Nu, le pied gère mieux la dissipation de l'énergie de l'impact - Photo Marie Halicki


Mettre son cheval pieds nus, c’est plus naturel et plus respectueux du cheval ?

Non, on ne peut pas dire ça ! D’abord, à partir du moment où l’on intervient, ce n’est plus naturel… Quant au respect, il n’est pas forcément associé aux pieds nus. Il y a des gens vraiment « pro-pieds nus », très catégoriques, qui ne veulent pas utiliser d’hipposandales quels que soient le terrain ou la distance à parcourir alors que leur cheval n’est pas prêt à le faire. En fait, tous les chevaux peuvent travailler pieds nus, mais tous les cavaliers ne sont pas capables de gérer un cheval pieds nus en fonction de leurs habitudes sportives.  

Racontez-vous vos débuts : depuis quand êtes-vous cavalière ?

J’ai débuté toute petite et j’ai suivi un enseignement classique en club hippique, à La Réunion. A l’époque, les clubs réunionnais faisaient venir des chevaux de selle de métropole, essentiellement du Selle Français. Il y avait aussi une très bonne cavalerie de poneys de selle. J’ai passé mon Galop 7 et j’ai fait beaucoup de compétition de CSO, jusqu’à 14-15 ans environ. Là, j’en ai eu marre de l’univers de la compétition et j’ai découvert l’équitation d’extérieur. En plus c’était beaucoup moins cher, parce que pour faire des concours hippiques à La Réunion, avec le prix des engagements, du transport, etc.,  il faut vraiment avoir les moyens. 

Qu’est-ce qui vous a séduite dans l’équitation d’extérieur ?

Le fait de passer toute la journée avec son cheval -  alors qu’en équitation sportive, c’est juste une heure de cours au club et 5 minutes pendant le parcours… J’ai trouvé que le temps de présence et la relation avec l’animal étaient plus importants, et j’ai redécouvert d’autres façons de voir le cheval. En fait, dès que j’ai commencé l’équitation d’extérieur, je n’ai quasiment plus remis les pieds au club. C’était une vraie rupture !  J’ai basculé vers le tourisme équestre, et j’ai passé tous mes Galops de Pleine Nature, jusqu’au 7.

Les plaisirs de la randonnée à cheval, ici dans le Mercantour @Blog Cheval d'Aventure
Les plaisirs de la randonnée à cheval, ici dans le Mercantour @Blog Cheval d'Aventure

 A La Réunion, les chevaux étaient tous ferrés ?

Oui, à 95 % environ. J’ai d’ailleurs d’emblée appris à ferrer, c’est une condition pour être autonome.

 Aviez-vous votre propre cheval ?

Oui : vers 15 ou 16 ans j’ai acheté Quartz, un poulain Mérens de 6 mois, que j’ai débourré avec l’aide d’un professionnel. Et à 20 ans j’ai passé mon monitorat, le BPJEPS Tourisme Equestre. Moi ce que j’aimais, c’était prendre mon cheval et aller me balader… Mais à La Réunion, ce n’est pas toujours évident : en fait, c’est soit compliqué, parce que d’un point de vue foncier les chemins sont quasiment tous privés et il faut des autorisations, soit dangereux, parce que la plupart des chemins sont très escarpés. Même en montagne, en France, je n’ai jamais été à cheval sur un chemin aussi dangereux qu’à La Réunion !

 Pourquoi avoir quitté votre île natale ?

Pour finir mes études, parce que j’avais passé une licence de géographie et que je voulais continuer avec un Master 1 et 2 spécifique, qui ne se faisait qu’en métropole. En 2010 je suis donc partie vivre en France, en Isère, où j’avais de la famille – étant expatriée et créole, c’était plus facile. Et j’ai rapatrié mon cheval en Isère avec moi.

Jusqu’à son départ de l’île, Quartz a donc toujours été ferré ?

Oui, et je l’ai déferré pour le voyage en avion, en pensant que c’était obligatoire. C’est en arrivant en France qu’un ami m’a dit : « Pourquoi t’envisages pas de le laisser pieds nus ? » Je n’y avais jamais pensé, je n’y connaissais rien. Il faut dire qu’à l’époque, sur l’île, l’information sur la possibilité de garder ses chevaux pieds nus circulait très peu. Aujourd’hui j’ai des collègues qui le font à La Réunion, mais souvent les chevaux restent ferrés des antérieurs.   

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Pieds nus, libres et en troupeau, ces chevaux en Midi-Pyrénées sont heureux ! @Blog Cheval d'Aventure

Est-ce que cela a été facile de passer Quartz aux pieds nus ?

Non, j’ai un peu galéré au début, le temps de trouver le bon professionnel. C’est vraiment essentiel. Parce qu’il ne suffit pas de déferrer et de faire un simple parage, il faut que ça suive aussi au niveau environnemental et au niveau alimentation. De mon côté, j’avais les conditions optimales pour l’Isère, à savoir à savoir des prés variés avec pas mal de cailloux,  un système de rotation de parcelles et uniquement du foin l’hiver, pas de céréales.

En quoi le terrain sur lequel vit le cheval est déterminant ?

En fait, dans l’idéal, pour qu’un cheval se fasse bien à ce passage aux pieds nus, il faudrait qu’il vive sur le terrain sur lequel il va randonner. Par exemple, si vous vivez dans les Landes, ce n’est pas gênant que votre cheval vive dans un paddock souple, avec du sable. Mais si vous voulez randonner en montagne, l’habitat idéal c’est un pré pentu, caillouteux, abrasif… parce que le pied du cheval s’adapte à son environnement. 

Vous parlez d’adaptation, c’est qu’il y a donc aussi une notion de progression ?

Tout à fait : le secret de la réussite, c’est d’être très progressif. Il ne faut surtout pas, sur un coup de tête, se dire « allez, je déferre mon cheval. Et désormais je ferai de la rando pieds nus ! » Parce que si vous faites ça, le premier jour, ça ira, le deuxième, ça pourra aller… et le troisième ou le quatrième, ça va se gâter et tourner en boiterie ! Il faut toujours penser aussi au changement de terrain : donc, ne passez surtout pas d’un pré gras à des sentiers abrasifs. C’est là qu’interviennent les hipposandales. 

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Les hipposandales sont d'un précieux secours pour les chevaux pieds nus - Photo Marie Halicki

Quel est l’intérêt des hipposandales ? Ne sont-elles pas la négation même des « pieds nus » ?

Pas du tout, bien au contraire ! Les hipposandales, c’est ça qui permet de conserver son cheval pieds nus. C’est un bon intermédiaire entre la ferrure métallique entièrement rigide et les pieds nus. Elles aident à faire les choses progressivement. Avec l’hipposandale, on n’empêche pas le fonctionnement naturel du pied. On apporte une protection, mais qui permet en même temps la déformation naturelle du pied. Et cela donne une grande liberté, une grande souplesse : on peut moduler, choisir à n’importe quel moment de les mettre, de les enlever, de les remettre… Alors que les fers, ils sont là pour un bout de temps ! On ne peut pas se dire « allez, je déferre, et puis dans 2 heures, je referre » !  

Comment s’est déroulée votre rando de 3 semaines dans les Alpes en 2017 ?

Je suis partie avec Quartz, mon Mérens qui a maintenant 14 ans, et Bandit, mon deuxième cheval de 7 ans, un « croisé portes et fenêtres », disons moitié New Forest, moitié Franches-Montagnes… Au début je l’ai utilisé comme cheval de bât, et depuis deux ans je le monte en rando.  

Dans quelle région randonnez-vous ?

Je fais exclusivement de la rando en montagne. Et je monte mes deux chevaux en alternance, sans cheval de bât, maintenant je préfère avoir des chevaux multifonctions ! J’ai deux selles et je remplis mes deux paires de sacoches et de fontes, de quoi avoir une autonomie de trois ou quatre jours, toute seule.  

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Expédition équestre dans les Alpes @Blog Cheval d'Aventure

Vous randonnez parfois avec d’autres cavaliers ?

Oui, cela m’arrive de me joindre à des randonneurs. Souvent, ils ne remarquent même pas que mes chevaux sont pieds nus. En fait je ne le dis pas, sinon ça en refroidit certains… Les gens vont être réticents à ce que je vienne avec eux, ils vont se dire « oh là, elle va nous ralentir » ou bien « son cheval va perdre ses hipposandales », alors je préfère me taire ! Et puis d’un coup, il y en a un qui dit « Tiens, ton cheval il n’est pas ferré ! » 

Quels conseils donneriez-vous aux cavaliers qui voudraient passer leurs chevaux pieds nus ?

De ne surtout pas être dogmatiques. Il ne faut pas s’obstiner dans le « pieds nus » absolu (sans hipposandale « coûte que coûte »). Les principes, ça ne fait pas bon ménage avec les chevaux ! Dans l’idéal, un cheval devrait toujours être pieds nus ; mais dans les faits, ce n’est pas toujours possible. Attention à ne pas sortir un cheval du jour au lendemain d’un club ou d’un paddock souple, pour partir plusieurs jours pieds nus !


En rando, faut-il adapter son itinéraire en fonction ?

Je dirais qu’il faut vraiment être progressif, et notamment augmenter progressivement le kilométrage (autant pour les pieds du cheval que pour la prise de rythme du groupe cavaliers/chevaux).. Par exemple, si on part plusieurs mois, le premier mois faire 15 km maximum, le deuxième mois 20 km…Et dans tous les cas, utiliser les hipposandales, de façon ponctuelle mais adaptée. 

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Au bord des falaises de Font d'Urle, dans le Vercors @Blog Cheval d'Aventure

Justement, comment savoir s’il faut mettre les hipposandales ?

Cela dépend vraiment du terrain : personnellement, en montagne, sur les gros dénivelés et les chemins qui demandent de la technique, je préfère rester pieds nus parce que le cheval a alors une meilleure proprioception, et une meilleure sensibilité du terrain. Là où je sens que mon cheval aura vraiment plus de confort avec les sandales, c’est par exemple sur les sentiers forestiers qui, aujourd’hui, sont souvent faits en tuiles concassées. D’une façon générale, mes amis qui ont réussi à voyager pieds nus, en France et en Europe, ont alterné avec les hipposandales, dans une proportion maximale de 50/50.

 Y a-t-il des modèles d’hipposandales à privilégier ?

Pas si c’est juste pour de la balade ponctuelle. En revanche, sur le long cours, c’est-à-dire pour des randos au-delà de quelques jours, il faut prendre des modèles assez bas, qui ne remontent pas trop sur le paturon, et qui restent sur la zone du sabot et de la corne. Sinon, il y a des risques de frottements et de blessures. Mais une bonne hipposandale reste une hipposandale qui va à votre cheval !
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La magie des Alpes semble inspirer ce cheval  de randonnée @Blog Cheval d'Aventure


 Est-il vrai qu’on voit aujourd’hui des chevaux pieds nus en endurance ?

Oui, quand c’est autorisé par le règlement. Souvent, les chevaux d’endurance non ferrés ont des hipposandales ou, mieux, encore, des semelles collées qui ne risquent pas de se défaire pendant la course. Car à vive allure, sur une course, il peut arriver qu’un câble de la sandale se détende, ou qu’un velcro se détache, et que le cavalier ne s’en rende pas compte tout de suite. Mais en France, c’est juste le début. En Espagne, il y a plus de compétiteurs d’endurance pieds nus, en Australie aussi. Mais ce sont les Américains qui communiquent le mieux sur le sujet, et pas seulement sur l’endurance pieds nus !  On trouve aujourd’hui pas mal de filles qui sont pareuses et/ou podologues équines.

La proportion est plus grande que chez les maréchaux-ferrant, pourquoi ?

Sans doute parce qu’il n’y pas l’activité de forge, qui est très physique et demande plus de force. Certes, le parage, c’est physique quand même, mais c’est moins violent que taper sur du métal ! Du coup, cela permet aux femmes d’avoir davantage accès à la profession.

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Ciel tourmenté dans le massif du Mercantour, Alpes du Sud  @Blog Cheval d'Aventure


 Constatez-vous un intérêt croissant pour les pieds nus ?

Oui, il y a une forte demande chez les particuliers. Et même les cavaliers qui ont des chevaux ferrés se posent des questions, s’intéressent au sujet. En revanche, cela reste peu reconnu dans les instances administratives et officielles. Quant aux vétérinaires, en cas de pathologie du pied, 80 voire 90% d’entre eux continuent d’orienter vers le maréchal-ferrant et respectent le protocole classique, en conseillant une ferrure spécifique plutôt qu’un parage.  

Se faire accompagner dans cette démarche, c’est essentiel ?

Oui, il faut que les chevaux pieds nus soient suivis par un vrai professionnel, et que le propriétaire du cheval s’informe et se forme de son côté. Car quand vous partez en randonnée ou en voyage, d’une région à l’autre vous ne trouverez pas toujours un professionnel disponible pour venir parer les pieds de votre cheval. D’une façon générale, je conseille de ne jamais partir sans se former à l’avance, faire des rencontres… Tous les cavaliers qui ont réussi leur voyage à cheval pieds nus se sont formés. Il faut être capable de suivre l’évolution du pied, d’identifier s’il a besoin de sandales ou pas, de juger de l’usure du pied… C’est d’ailleurs la même chose avec les chevaux ferrés : un vrai randonneur a généralement de bonnes connaissances en maréchalerie ! D’une façon générale, je dirais qu’il faut savoir écouter son cheval. Je me suis personnellement beaucoup formée auprès de maréchaux-ferrant, podologues équins, mais aussi des moniteurs et des ostéopathes qui travaillent sur la biomécanique. 

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Le Népal ? Non, la France ! Dans le massif du Mercantour (Alpes du Sud)  @Blog Cheval d'Aventure


Comment définir un « bon pied » ?

C’est l’arrière du pied qui est très important. Globalement, il faut une bonne fourchette bien développée, large et épaisse, saine (sans pourriture, trou, abcès…), et des talons qui rejoignent bien la fourchette à son endroit le plus large. Les pieds sains et fonctionnels présentent aussi des proportions proches : la fourchette représente 2/3 de la longueur du pied et la sole et la paroi en pince représentent le 1/3 restant.

Marie, cet été, où voyagerez-vous avec vos deux chevaux pieds nus ?

Dans les Alpes du Nord : je vais partir de l'Oisans, en Haute-Savoie, traverser les massifs de la Maurienne, la Tarentaise, la Vanoise… et finir vers Chamonix.     



Photos : Marie Halicki et Christophe Leservoisier.

Pour en savoir plus sur les chevaux pieds nus, consultez le site de Podologie Equine Libre

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